L'antisémythisme du Juif tueur d'enfants : Pologne, Allemagne nazie, Qatar
Cette accusation absurde, appliquée à un des rares peuples qui professe une telle horreur du sang que ses lois alimentaires lui enjoignent de ne consommer la viande rouge qu’après l’avoir longuement salée puis longuement trempée dans l’eau, est au cœur-même de la passion antijuive. Au moyen-âge, on prétendait que les Juifs tuaient des enfants chrétiens pour mêler leur sang à celui du pain azyme. Cette habitude, selon les nouveaux ennemis du judaïsme serait restée bien vivace. A preuve, les commentaires entourant la guerre menée par Israël contre le Hamas et où les médias n’ont de cesse d’égrener le nombre d’enfants tués, comme si ceux-ci étaient la cible privilégiée de Tsahal.
A notre connaissance, il n’y a pas d’autre conflit armé où la perte d’enfants constituent le cœur-même du récit médiatique. Bien avant la tragédie d’octobre 2023, un syndicaliste flamand proche du parti socialiste accusait ainsi l’armée israélienne de tuer les enfants palestiniens dans le but de prélever leurs organes vitaux dans un but mercantile.
En novembre dernier, l’Evêque de Gand, Monseigneur Johan Bonny, n’a pas hésité, dans un texte adressé à « ses amis Juifs », de recourir à cette accusation infâme : « Dans le journal de ce matin, j'ai lu que quatre mille enfants sont déjà morts à Gaza, soit environ quatre cents par jour. Gaza est devenu un cimetière pour les enfants »… Au passage, dans des termes aux accents préconciliaires, il insiste sur la supériorité morale du christianisme sur le judaïsme : « Le christianisme affirme que "l'amour et le salut de Dieu ne sont plus liés à un pays, une race ou une culture spécifique. En d'autres termes, le christianisme prêche l'universalité du salut. Par conséquent, selon la tradition chrétienne, aucune parole de Dieu dans l'Ancien Testament ne peut "légitimer une récupération violente ou une expansion militaire de la soi-disant "terre biblique". Le Dieu d'Israël est le Père de tous les hommes, comme l'indique la Genèse".
Comme l’a démontré la vague antisémite surgie comme par magie à l’occasion de l’épidémie du Covid19, l’antisémitisme est une maladie des temps de crise. Accusés au moyen-âge d’empoisonner les puits ou de répandre la peste, les Juifs se retrouvèrent désignés comme les propagateurs de la nouvelle maladie.
Mais si l’antisémitisme est une haine qui vise exclusivement les citoyens d’origine juive -ou supposés tels-, sa nocivité dépasse de loin le seul groupe qu’il s’est donné pour cible. Dans le cas de l’Allemagne pré-nazie, il fut l’une des expressions majeures de l’angoisse des masses - en particulier celle des chômeurs et de la petite bourgeoisie précarisée. A ce propos Theodor W. Adorno suggère que « l’histoire de l’antisémitisme n’est pas sa “propre” histoire, mais l’histoire politique et sociale du monde dans lequel il remplit une fonction pernicieuse. »[1]. L’antisémitisme, oui, est surtout sinon exclusivement l’affaire des antisémites. La vague de colère qui, par habitus et reflexe conditionné, déferle d’abord sur les Juifs, finit toujours par rejaillir sur la société qui l’a portée. Les Juifs, à l’image des canaris utilisés dans les mines pour prévenir les coups de grisou, sont les premiers à être atteints par les tragédies de l’histoire : le mal qu’on leur fait préfigure en général celui qui, par ricochets successifs, sera bientôt le lot de tous. Si Hitler s’en prend à l’origine aux Juifs, sa guerre contre l’Humanité emportera plus de 50 millions de citoyens, toutes origines et confessions confondues.
[1] T. W. Adorno et al., The Authoritarian Personality, p. xliv. Cette citation provient de « Remarks on The Authoritarian Personality », qui a été écrit en 1948, mais n’a jamais été publié avec Études sur la personnalité autoritaire.