5. L’antisionisme est-il de l’antisémitisme ?


Il est manifeste qu’un redéploiement de l’antisémitisme s’opère, aujourd’hui, sous couvert d’antisionisme. À n’en point douter, le conflit israélo-palestinien offre à l’antisémite un champ d’interprétation permettant de remettre en selle et recrédibiliser les systèmes d’accusation à l’œuvre depuis des siècles pour justifier l’oppression des Juifs. De nombreux antisémites ont compris qu’en s’attaquant à Israël, au nom des Droits de l’Homme, ils atteignent plus efficacement leur but. Pour les antisionistes, qualifiés par nous de radicaux-  Israël, au demeurant l’un des plus petits États de la planète , constituerait la principale menace contre la paix dans le monde. Cela ne signifie nullement qu’il faille considérer toute manifestation d’antisionisme comme un signe ou preuve d’antisémitisme : on peut être hostile à l’idée d’un État juif et à la politique de cet Etat, sans pour autant être suspect de haine antisémite. Rappelons que, jusqu’à la Shoah, la grande bourgeoisie juive, une majorité de Juifs orthodoxes, ainsi que les communistes et les socialistes du Bund sont opposés à la création d’un Etat juif. Il n’en demeure pas moins que, après la Shoah, cet antisionisme de principe a fait long feu. Il est même devenu suspect. Au nom de quel principe, en effet, de tous les peuples qui composent notre Humanité, seuls les Juifs n’auraient-ils pas le droit à une patrie - située qui plus est sur la terre d’origine du peuple juif ? Si la Shoah n’a pas créé Israël, le moins qu’on puisse dire est qu’elle en a justifié la nécessité. Ce sont Hitler, Staline puis Nasser qui ont, tour à tour, validé l’option sioniste, jusqu’alors minoritaire au sein du monde juif. Tel est l’amer constat de l’historien israélien Elie Barnavi,  fervent défenseur d’une solution à deux Etats :  « A partir de la création de l’État d’Israël, et à moins de s’opposer à tout fait national au nom d’un principe cosmopolite supposé supérieur au tribalisme nationaliste, l’antisionisme perd toute justification rationnelle (…) L’État qui existe désormais, a été porté sur les fonts baptismaux par les Nations Unies et se trouve de ce fait membre de droit de la communauté internationale. Dès lors, lui dénier cette qualité, l’ostraciser, proclamer sa scélératesse intrinsèque et affirmer sa volonté de le détruire, n’est rien d’autre que de l’antisémitisme déguisé sous des oripeaux jugés plus présentables. »

 



Elie Barnavi qualifie l’opposition pour les Juifs à se constituer en Etat d’« antisionisme éradicateur », autrement dit, une hostilité définitive, sans nuance ni rémission à l’égard de l’Etat d’Israël. « Cet antisionisme éradicateur, c’est la détestation d’Israël habillée en idéologie politique. C’est une passion singulière » : « On n’est pas antifasciste uniquement contre les manifestations du fascisme par exemple. L’antisionisme, lui, est particulariste et monomaniaque : il vise une idéologie nationale unique, et, à travers elle, un État-nation et lui seul. Par ailleurs, le procès qu’il instruit contre cet État-nation ne s’intéresse pas à son régime politique, ni à son discours, ni même à ses actes, sinon hypertrophiés, mythifiés et déformés pour correspondre au canon du Mal absolu ; en dénonçant son idéologie fondatrice, il s’en prend à son essence même, jugée une fois pour toutes illégitime. Aussi le démantèlement pur et simple de cet Etat-nation serait-il un acte conforme à la marche de l’Histoire comme à la morale commune. Ceci est extraordinaire. Aussi monstrueux soient les crimes dont se rend coupable un peuple à tel ou tel moment de son histoire, la raison voudrait que l’on s’en prenne à son régime, pas au peuple, voire à l’Etat dont ce régime s’est emparé. Pour l’antisioniste éradicateur, en Israël, peuple, Etat et gouvernement ne font qu’un ».

Même si de nombreux militants de la cause palestinienne, y compris d’origine juive, prétendent la main sur le cœur ne pas être antisémites, il est hélas évident qu’il leur est souvent arrivé de franchir la ligne rouge.