Il est de coutume, notamment dans les discours militants, de refuser d’envisager l’antisémitisme comme un phénomène en soi. S’il s’apparente par bien des aspects au racisme et à la xénophobie, force est pourtant de devoir reconnaitre qu’il il ne se réduit ni à l’un ni à l’autre. A cela, plusieurs et bonnes raisons :
- L’antisémitisme est multiséculaire : Comme l’a énoncé l’historien britannique Robert Wistrich, la haine des Juifs est sans doute la « plus longue haine de l’histoire ». Et sans doute aussi, ajouterons-nous, la plus multiforme. Elle varie de tonalité et d’apparence à chaque changement de cap de la société. Au Moyen-Âge, époque où l’on croit dur comme fer au diable et aux sorcières, les Juifs seront accusés de pratiquer diableries et sorcellerie. Au 19e siècle, tandis que la guerre sociale fait rage, les révolutionnaires et les banquiers, soupçonnés de connivence, seront accusés de fomenter complot sur complot.
Au 21e siècle, les voilà désignés comme orchestrateurs, ici, du grand remplacement et/ou génocide des blancs (David Dees, Etats-Unis), là , de la guerre que, selon le philosophe français Alain Brossat, l’Occident mènerait à l’Islam[1]. En février 2013, dans un article aux relents conspirationnistes publié par l’Agenda interculturel, la très sérieuse et pertinente revue du Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), Alain Brossat, dénonce la réalité d’un axe du Mal islamophobe piloté depuis... Tel Aviv. Non content de faire accroire à ses lecteurs belges que l'antisémitisme ayant pratiquement disparu, ce sont les musulmans qui seraient désormais les « nouveaux Juifs », le professeur de philosophie n'hésite pas à faire du très mystérieux « groupe d'intérêts lié à Israël », le principal responsable des malheurs des musulmans de France : « Un nouvel axe ultra-occidental existe d’ores et déjà en pointillés, susceptible de réunir, sous la bannière commune de l’activisme anti-islamique, de la xénophobie décomplexée et du soutien indéfectible à tout ce qu’incarnent l’Etat d’Israël et ses dirigeants actuels, "patriotes" d’apartheid grandis dans le giron du Front national et partisans fanatiques du "Grand Israël".» En 2015, Philippe Lioret, le réalisateur français de Welcome, film dénonçant les conditions de vie des « sans-papiers » en France, s'interrogeait au micro de France-Inter sur la possible responsabilité d'Israël dans la crise migratoire mondiale. Quant à la montée de l'intégrisme musulman, bouclant ainsi la boucle, le cinéaste l’attribuait tout de go à la victoire israélienne lors de la guerre des Six jours de 1967. CQFD : ce sont désormais les sionistes, et non plus les Juifs, qui sont désignés comme les responsables des malheurs du monde. Les « nouveaux Juifs » ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
[1] Alain Brossat, « Ça passe ou ça casse ? Un certain air de déjà -vu ». Agenda interculturel, Bruxelles, février 2013, n° 310. A décharge du CBAI, le droit de réponse accordé au coordinateur du présent site: Joël Kotek, « On ne combat pas le racisme avec de l’antisémitisme ». Agenda interculturel , http://www.cbai.be/revuearticle/1105
Cette caricature qatarie attribue aux Juifs la paternité
des caricatures danoises stigmatisant l’Islam.
Cette caricature de David Dees attribue aux Juifs le Grand remplacement
qui vise à instrumentaliser les musulmans pour détruire les Chrétiens.
- L’antisémitisme est plastique : L’antisémitisme doit être ainsi compris comme un fait social polymorphe et complexe capable de réinventer constamment l’objet de son ressentiment. Ce qui distingue, en effet, l’hostilité aux Juifs de toutes les autres formes d’intolérance (xénophobie, racisme, ethnocentrisme), c’est à la fois la durée, l’intensité, la persistance et, plus encore, la plasticité du prétexte accusatoire. Du 4e siècle à nos jours, les motifs de persécution ont été variés. C’est aussi bien au nom de la foi (Mohamed/Luther) que de la raison (d’Holbach), de la lutte des classes (Staline), de la lutte des « races » (Hitler), du progrès social (Proudhon), des valeurs nationales (Soral) ou du « Bien » (R. Waters), que s’est autorisée l’hostilité envers les Juifs. Aujourd’hui, l’accusation la plus répandue se teinte d’un humanisme bien-pensant. Et voilà les Juifs, victimes multiséculaires du monde chrétien et musulman, traités de sales « blancs », d’impérialistes et de racistes, de colons et de spoliateurs, quand ce n’est pas, tout crument, de nazis. L'antisémitisme est typique de ce que Michel Foucault qualifiait de polyvalence tactique du discours, soit l'art de cibler indéfiniment la même victime tout en recyclant ses arguments selon les théories du jour. L’antisionisme radical, qui fait d’Israël le Juif des nations, en est l’évidente illustration. C’est en cela-même que l’antisémitisme est un phénomène unique dans l’histoire et qu’il est nécessaire de le traquer et de l’analyser en fonction de ses « migrations » discursives - comme le notait l’intellectuel français Jean-Pierre Faye. Au Moyen-âge moyen, le Juif est perçu comme l’agent du Mal, au sens propre et figuré du terme ; aux Temps modernes il est dénoncé comme l’inventeur de l’infâme religion (chrétienne) ; à la Belle-époque, un lien étant établi entre judaïsme et modernité (destructrice), les Juifs sont rendus responsables à la fois de l’essor du matérialisme, du libéralisme, et du socialisme. Comme le souligne Paul Zawadki, l’imaginaire antisémite entretient une relation paradoxale, ambiguë mais significative, avec la modernité bien souvent dénoncée en termes de complot juif. Aujourd’hui au sein du monde arabo-musulman, le signe juif se trouve associé à la malbouffe (Coca Cola, McDonalds), aux sous-produits culturels (Walt Disney, Pokémon), aux menaces posées sur la famille (homosexualité, etc.)
- L’antisémitisme est plastique : L’historien Marc Knobel parle d’une « transversalité » de l’antisémitisme (règle des « trois A »), se caractérisant par : 1. L’ancienneté, l’inaltérabilité et l’efficacité jamais démentie des stéréotypes véhiculés par l’antisémitisme : « Les juifs ont du pouvoir », « de l’argent », « ils contrôlent la finance et les médias ». 2. L’actualisation constante de ces stéréotypes selon les besoins de l’heure et leur adaptation régulière aux conditions dictées par l’actualité : la crise financière de 2008 (« c’est la finance juive »), la pandémie de Covid-19 (« ils gagnent de l’argent avec le Covid »), le mouvement des « gilets jaunes » (Emmanuel Macron serait la marionnette docile des Rothschild»). 3. L’attractivité du mot juif sur les réseaux sociaux, lequel, plus ou moins bien utilisé, génère automatiquement de l’audience et du trafic sur la toile.
- L’antisémitisme est contradictoire : Dans l’imaginaire de ses contempteurs, les Juifs sont tantôt l’objet de mépris (« les Juifs sont des gueux » , « Les Juifs sont des parias », « Les Juifs sont laids »), tantôt enviés et jalousés (les Juifs sont riches », « Les Juifs sont intellectuellement brillants »). Tantôt tournés en dérision et moqués, tantôt craints, décrits tour à tour comme « riches » et « pauvres », « cosmopolites » et « nationalistes », « inférieurs » et « supérieurs », « capitalistes » et « communistes », « trop visibles » ou « couleur de muraille », le « Juif » est tout et son contraire.
- L’antisémitisme est un outil paranoïaque :
L’antisémitisme radical relève de la psychose. Yehouda Leib (Léon) Pinsker, l’un des inventeurs du sionisme avec Herzl , l’associe non sans pertinence à une psychose collective, à une forme spécifique de paranoïa sociale, d’où la préférence du penseur pour le concept de « judéophobie ». La thèse anthropologique de Pinsker est séduisante. Sans doute influencé par sa qualité de médecin, il définit la judéophobie comme une psychopathologie, comme « une démonopathie héréditaire, propre au genre humain… qui existe partout et de tout temps.
[1] Voire l’analyse de Georges Bensoussan in Histoire du sionisme
- L’antisémitisme est une démonologie : L’antisémitisme ressortit à la pensée démonologique. Comme l’avance Freud, « l’existence du diable reste le meilleur, sinon le seul subterfuge à même de disculper Dieu[1]». L’existence du Diable ne sauve-t-il pas le Christ d’un procès en incompétence ? Reste que si l’explication de l’échec des desseins de Dieu par l’existence du Mal est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Le peuple en souffrance exige des coupables à même d’être dénoncés, jugés et brûlés. Et quoi de plus logique, dans le cadre de cette opération, que de désigner les assassins du Christ ? C’est dès le 4e siècle que les Juifs se trouvent ainsi en butte à des procès en sorcellerie. « L’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, cherchant à déjouer le plan divin, complotant sans trêve la ruine du genre humain est, écrit l’historien britannique Norman Cohn, la forme première de l’antisémitisme[2]».
- L’antisémitisme est un récit conspiratoire : Antisémitisme et complotisme sont intimement liés. Théorisé par Léon Poliakov, le concept de causalité diabolique rend parfaitement compte de ce sinistre compagnonnage. Expliquer l’inexplicable par une conjuration occulte, une conspiration invisible est une constante dans l’histoire des sociétés, écrit l’historien franco-russe ; ce réflexe se signale à chaque moment de crise. “C’est la faute aux Juifs” devient logiquement l’explication de tout bouleversement, de toute modification du statu quo, de toutes menaces réelles ou supposées : incursion sarrasine, crue de la Seine, krach boursier et aujourd’hui COVID 19, voire… macronisme - comme en témoigne la fresque de LeKto (lire « le catho ») qui, à la veille du festival d’Avignon 2022, dépeint le président de la République française comme une marionnette des Juifs. Ce type de représentation, il faut le savoir, appartient au lointain moyen-âge. Dans le contexte apocalyptique de la Grande Peur, écrit Jean Delumeau, nommer des coupables, fussent-ils imaginaires, a pu fournir aux victimes des épidémies un semblant d’explication logique. « Vos malheurs, mes frères, sont dus aux Juifs, ces infidèles, ces amis de Satan… » Les explications les plus simples sont souvent les plus efficaces. D’où la fortune des thèses conspirationnistes au cœur de la vision du monde des antisémites.
- L’antisémitisme est absurde : Contrairement à l’antijudaïsme, l’antisémitisme n’est pas une hostilité de type « réaliste ». Les antijuifs reprochent aux Juifs ce qu’ils font (shabbat) et ce qu’ils sont : à savoir des concurrents au plan religieux. Les antisémites, quant à eux, accusent les Juifs de pensées et de crimes imaginaires. Ils leur reprochent ce qu’ils ne sont pas (des ennemis de l’humanité, des agents de Satan) ou ne font pas (sacrifier des enfants, frayer avec le diable). Ce qui distingue, l’antisémitisme des autres racismes, c’est le caractère intégralement idéologique, principiel et gratuit de la haine qu’il distille.
- L’antisémitisme est une chimère : Gavin Langmuir, l’antisémitisme génère par définition des accusations de nature paranoïaque et fantasmatique. A cet égard, ce type particulier de racisme peut se définir comme « une hostilité chimérique socialement significative à l'égard des Juifs » : chimérique au sens où l’antisémitisme est toujours déconnecté du réel. Les crimes imputés au Juifs ne reposent en effet sur rien. Les Juifs ne tuent pas des enfants chrétiens dans le cadre de crimes rituels, n’empoisonnent pas les puits pour nuire à leurs voisins, ne complotent pas contre l’Etat, ne constituent pas un Etat dans l’Etat. A l’évidence, les Juifs n’ont jamais constitué la moindre menace existentielle ou territoriale ni en chrétienté ni en islam.
Leur présence n’est pas du reste une condition nécessaire à l’orchestration de campagnes antisémites. Témoigne de ce fait les attaques antisémites dans des pays aujourd’hui vidés de toute population juive tels l’Algérie, la Tunisie ou encore la Pologne ; ou depuis toujours privés de Juifs (Japon, Indonésie).
- L’antisémitisme répond à un mécanisme de transfert : L’antisémitisme est l’exemple-type du mécanisme psychologique nommé transfert d’hostilité. Il est une colère qui se trompe, consciemment ou inconsciemment, de cible. Il est un moyen commode pour le peuple d’exprimer la rage légitime qu’il éprouve à l’égard du Prince en détournant cette rage contre une population innocente accusée d’induire le Prince en erreur. L’antisémitisme, en même temps, permet au Prince de détourner le mécontentement populaire sur la personne des Juifs. Si le Juif n’existait pas, écrit Sartre, il faudrait l’inventer. En tant que marqueur de mécontentement, le Juif est systématiquement associé aux changements et bouleversements sociétaux : modernité, communisme, capitalisme, pacifisme, tout sert de pâture à l’antisémitisme… Dans son tout dernier écrit, Adolf Hitler parle en effet “de race juive par commodité de langage car, avance-t-il, il n'y a pas, à proprement parler du point de vue génétique, une race juive ... La race juive est avant tout une race mentale”. Il n’en assassinera pas moins de 6 à 7 millions de Juifs réels.
Du moyen-âge à aujourd’hui, l’antisémitisme doit être compris comme une colère qui se trompe de cible, comme une forme facile et absurde de lutte de classe, bref de socialisme des imbéciles ou des nazis. Nazi, c’est-à -dire national … socialiste. Il en est de même aujourd’hui de l’antisionisme, radical s’entend où droit-de-l’hommisme des imbéciles.
- L’antisémitisme d’autojustification : Il convient de souligner ici que l’idée d’éliminer les Juifs spatialement (épuration ethnique) ou physiquement (génocide) peut-être le produit d’un sentiment de culpabilité mal digéré. Nul n’ignore que la population juive, historiquement sans défense ni défenseur, a subi plus qu’à son tour les effets de l’injustice populaire et étatique. Attaquer le plus faible des maillons de la chaîne n’étant pas une attitude jugée digne, une campagne de propagande précède toujours les razzias et les pogroms. On justifie ainsi à titre préventif les injustifiables violences que l’on s’apprête soi-même de commettre. A bon compte, on se dédouane. « Nous les avons attaqués, certes, mais c’est eux qui ont commencé… Nous y sommes peut-être allés un peu fort, oui, mais grâce nous soit rendue d’avoir agi à temps ! » On explique volontiers les persécutions des Juifs en termes de légitime défense, sur le modèle éculé du « Eux ou Nous », et/ou d’autodéfense coupable : « Et s’ils cherchaient à se venger de leurs humiliations sans cesse répétées ? » Ces peurs irraisonnées expliquent que de nombreux conspirationnistes accusent les Juifs d’être aux commandes du Grand remplacement et de l’épidémie de COVID 19.
Le plan machiavélique des Juifs vise à remplacer les populations chrétiennes
par des immigrés arabo-musulmans et/ou latino.
- L’antisémitisme comme moyen de jouir : Comment ne pas évoquer ici le mécanisme psychologique bien connu de rejet de culpabilité et/ou de projection agressive mis en avant par le philosophe allemand Theodor Adorno ; mécanisme qui trouvera sa pleine expression après la Shoah par le formule du psychanalyste israélo-viennois Zvi Rix, « les Allemands ne pardonneront jamais Auschwitz aux Juifs ». Cet antisémitisme dit secondaire, non pas "malgré, mais à cause d'Auschwitz", est très éclairant pour qui veut comprendre les racines de l’antisémitisme contemporain et ce, y compris (et surtout) dans ses métastases antisionistes. Le concept de distorsion de la Shoah, récemment mis en avant par l’organisation intergouvernementale Alliance Internationale pour la Mémoire de la Shoah (IHRA) décrit les mécanismes destinés non pas tant à nier le crime qu’à le relativiser, le banaliser, qu’à excuser les bourreaux et, davantage encore, à charger, salir, culpabiliser les victimes. L’idée consiste autant à minimiser le caractère criminel de la Shoah qu'à nazifier les Juifs par une critique radicale d'Israël. Non seulement les Juifs n’ont pas subi de martyre si particulier, mais ils sont aujourd’hui, en Palestine, les véritables nazis. Le rapport troublé à la Shoah autorise, en effet, toutes les audaces jouissives (« Et si les vrais nazis, c’étaient les Israéliens ! »). C’est dans ce contexte aussi qu’il faut comprendre les diverses interventions de l’Évêque d’Anvers, lequel , dans un article évoqué plus haut, a osé écrire ceci: « Certes, je dis cela en tant que chrétien. Et en tant que chrétien, je dois également traiter notre passé avec prudence. Mais en parlant ainsi, je suis obligé par la différence essentielle – et donc par le message même – pour lequel Jésus de Nazareth est mort sur la croix. Déjà à cette époque : un juif de Palestine, âgé de 33 ans. ». Retour du refoulé assurément : on se souviendra du silence de l’Église belge et de la complicité des autorités communales de Malines, la ville où réside le chef de l’Eglise catholique belge, à l’époque le cardinal Van Roey. 65% des Juifs anversois furent déportés depuis Malines vers Auschwitz, 65% des Juifs d’Anvers. Quant à Jésus, on rappellera qu’il vécut en terre d’Israel (Judée, Galilée), pas en Palestine.
« L'antisionisme, écrit Vladimir Jankelevitch est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission - et même le droit, et même le devoir - d'être antisémite au nom de la démocratie ! L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. »
“O Crematório”, caricature qui nazifie la politique israélienne donc antisémite
aux termes de la définition de l’IHRA (Gargalo 19 novembre 2019).
- L’antisémitisme comme objet passionnel, obsessionnel : Comme l’avance l’historien québécois Pierre Anctil « Un antisémite doit être défini comme celui qui fait de son hostilité à l’endroit du Juif la principale et souvent l’unique rationalité de sa pensée politique et sociale. ». Prenez les exemples contemporains d’Alain Soral, d’Alain Brossat ou encore de Jean-Marie Dermagne. L’ossature de leur weltanshauung est d’un simplisme consternant : si le monde se porte mal et menace de partir en fumée, c’est la faute aux « sionistes ». Comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, l’antisémitisme tient de la passion.
- La fonction rédemptrice de l’antisémitisme : L’une des fonctions de l’antisémitisme est de rassurer des populations soumises à l’arbitraire politique et terrassées par les injustices du présent et les peurs de l’avenir. L’explication des tragédies et des désastres par les Juifs fournit une manière d’explication logique à ces dérèglements aussi réguliers qu’angoissants. Elle apporte en outre la promesse de temps meilleurs, son projet étant, à terme, de se débarrasser des responsables de cette succession ininterrompue de malheurs : les Juifs. Cet antisémitisme rédempteur repose sur deux dogmes : (1) les Juifs sont responsables de tous les maux qui frappent le genre humain ; (2) l’élimination totale des Juifs représente la voie du salut. En cela, la Shoah doit être comprise comme un génocide à vocation rédemptrice.
- L’antisémitisme une « idéologie » à vocation exterminationniste : Sans cautionner l’idée que la Shoah serait l’aboutissement inéluctable de la difficile relation judéo-chrétienne, il est évident que c’est bien l’Eglise qui a semé les graines de la haine virale à l’égard des Juifs. La légende noire tissée par les Chrétiens au fil des siècles explique le destin si particulier des Juifs en diaspora : mise à l’écart progressive, statut de paria, massacres réguliers, etc… Dans Mein Kampf, Hitler écrit que « ce n’est que lorsqu’une époque n’est plus envoûtée par les ombres de sa propre conscience de culpabilité qu’elle obtient, avec la paix intérieure, la force de couper brutalement et impitoyablement les pousses sauvages, d’arracher les mauvaises herbes ». Les éléments nuisibles doivent être traités, comme dans la Nature, sans états d’âme. Les pans de l’humanité, montrant des signes de dégénérescence, doivent être annihilés. Hors ce processus d’éradication, point de salut. C’est la contamination assurée, la gangrène garantie… En tant que tel, le Juif doit être isolé et mis hors d’état de nuire. Témoigne de cette vision d’horreur le livret d’instructions destiné à la Wehrmacht -paru en 1944. L’état-major national-socialiste de la Wehrmacht, sous l’égide duquel paraît l’ouvrage, n’y va pas par quatre chemins. Le titre est clair : « Les Juifs comme parasites », les recommandations faites aux soldats ne le sont pas moins. «On trouve encore parmi notre peuple des gens qui ne sont pas intimement convaincus quand nous parlons de l’extermination (Ausrottung) des Juifs dans notre espace vital. Il nous a fallu trouver parmi nous la force de caractère et l'énergie du plus grand homme apparu dans notre peuple depuis mille ans afin d'arracher l’imposture juive qui nous aveuglait. La Ploutocratie juive et le communisme juif pourchassent le peuple allemand qui a fui leur esclavage. Les Juifs espèrent nous contraindre à une vie d’esclaves afin de prospérer sur notre dos en parasites et de nous exploiter. La forme de vie saine de notre peuple se révolte contre la forme de vie parasitique du Juif. Qui, dans ce combat, peut encore invoquer la pitié, l’amour du voisin, et ainsi de suite ? Qui croit encore dans la possibilité d’améliorer un parasite (un pou, par exemple) ou de le convertir? Qui pense qu’il existe un moyen de trouver un compromis avec un parasite? Nous n’avons qu’un seul choix : nous laisser dévorer par le parasite ou l’anéantir (vernichten). Le Juif doit être anéanti (vernichtet) partout où nous le trouvons. Ce faisant, nous ne commettons pas un crime contre la vie, mais nous servons sa loi de la lutte pour la vie; une loi qui se dresse toujours contre tout ce qui est hostile à une vie saine. Ainsi notre combat sert la préservation de la vie. La victoire allemande – la victoire de l’ordre dans la création.»
Ce type de délire génocidaire est malheureusement toujours à l’ordre du jour. La charte originelle du Hamas en témoigne. Ses accents complotistes rappellent tout à la fois les dérives antisémites de l’islamisme et le discours des mouvements fascistes de l’Entre-deux-Guerres. Extraits : « L’Heure ne viendra pas avant que (…) les pierres et les arbres eussent dit : « Musulman, serviteur de Dieu ! un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le. » (Article 7) ; « Après la Palestine, les sionistes veulent accaparer la terre, du Nil à l’Euphrate. […] Leur plan est contenu dans « Le Protocole des Sages de Sion ». Ils sont derrière la Révolution française, la Révolution Communiste et toutes les révolutions dont nous avons entendu parler. Avec leur argent, ils ont mis sur pied des sociétés secrètes comme les francs-maçons, les clubs Rotary, les Lions et autres dans différentes parties du monde, afin de saboter les sociétés et servir les intérêts sionistes. […], « ils ont été derrière la Première guerre mondiale quand ils ont aboli le Califat islamique, réalisant des gains financiers et contrôlant les ressources. Ils ont obtenu la Déclaration Balfour, créé la Ligue des Nations pour diriger le monde. […] C’est à leur instigation(qu’ont été créés) l’ONU et le Conseil de sécurité pour remplacer la Société des Nations afin de gouverner le monde à travers eux. Il n’existe aucune guerre dans n’importe quelle partie du monde dont ils ne soient les instigateurs » (Article 22). Cette charte est l’expression par excellence de ce qu’il est convenu de qualifier d’ antisionisme radical, dernier avatar connu de l’antisémitisme médiéval hallucinatoire et conspirationniste. De nombreux soutiens à la cause palestinienne en conviennent, à l’instar d’Alain Gresh qui, en 2009, condamna dans le Monde diplomatique les délires antisémites du Hamas: « Il faut dire que ces délires, notamment sur les protocoles des Sages de Sion se retrouvent fréquemment dans certains et articles publiés dans le monde arabe. Interrogés là -dessus, les dirigeants du Hamas affirment qu’il ne faut tenir compte que de leur plate-forme défendue durant la campagne de 2006, argument qui n’est pas recevable en ce qui concerne les références aux Protocoles des Sages de Sion.»[1]
[1] Alain Gresh, Qu’est-ce que le Hamas, Le monde diplomatique, 27 janvier 2009.