1. Une haine inclassable


Il est de coutume, notamment dans les discours militants, de refuser d’envisager l’antisĂ©mitisme comme un phĂ©nomène en soi. S’il s’apparente par bien des aspects au racisme et Ă  la xĂ©nophobie, force est pourtant de devoir reconnaitre qu’il il ne se rĂ©duit ni Ă  l’un ni Ă  l’autre. A cela, plusieurs et bonnes raisons :

  • L’antisĂ©mitisme est multisĂ©culaire : Comme l’a Ă©noncĂ© l’historien britannique Robert Wistrich, la haine des Juifs est sans doute la « plus longue haine de l’histoire Â». Et sans doute aussi, ajouterons-nous, la plus multiforme. Elle varie de tonalitĂ© et d’apparence Ă  chaque changement de cap de la sociĂ©tĂ©.  Au Moyen-Ă‚ge, Ă©poque oĂą l’on croit dur comme fer au diable et aux sorcières, les Juifs seront accusĂ©s de pratiquer diableries et sorcellerie. Au 19e siècle, tandis que la guerre sociale fait rage, les rĂ©volutionnaires et les banquiers, soupçonnĂ©s de connivence, seront accusĂ©s de fomenter complot sur complot.

    Au 21e siècle, les voilĂ  dĂ©signĂ©s comme orchestrateurs, ici, du grand remplacement et/ou gĂ©nocide des blancs (David Dees, Etats-Unis), lĂ , de la guerre que, selon le philosophe français Alain Brossat, l’Occident mènerait Ă  l’Islam[1]. En fĂ©vrier 2013, dans un article aux relents conspirationnistes publiĂ© par l’Agenda interculturel, la très sĂ©rieuse et pertinente revue du Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), Alain Brossat, dĂ©nonce la rĂ©alitĂ© d’un axe du Mal islamophobe pilotĂ© depuis... Tel Aviv. Non content de faire accroire Ă  ses lecteurs belges que l'antisĂ©mitisme ayant pratiquement disparu, ce sont les musulmans qui seraient dĂ©sormais les « nouveaux Juifs Â», le professeur de philosophie n'hĂ©site pas Ă  faire du très mystĂ©rieux « groupe d'intĂ©rĂŞts liĂ© Ă  IsraĂ«l Â», le principal responsable des malheurs des musulmans de France : «  Un nouvel axe ultra-occidental existe d’ores et dĂ©jĂ  en pointillĂ©s, susceptible de rĂ©unir, sous la bannière commune de l’activisme anti-islamique, de la xĂ©nophobie dĂ©complexĂ©e et du soutien indĂ©fectible Ă  tout ce qu’incarnent l’Etat d’IsraĂ«l et ses dirigeants actuels, "patriotes" d’apartheid grandis dans le giron du Front national et partisans fanatiques du "Grand IsraĂ«l".»  En 2015, Philippe Lioret, le rĂ©alisateur français de Welcome, film dĂ©nonçant les conditions de vie des « sans-papiers Â» en France, s'interrogeait au micro de France-Inter sur la possible responsabilitĂ© d'IsraĂ«l dans la crise migratoire mondiale. Quant Ă  la montĂ©e de l'intĂ©grisme musulman, bouclant ainsi la boucle, le cinĂ©aste l’attribuait tout de go Ă  la victoire israĂ©lienne lors de la guerre des Six jours de 1967. CQFD : ce sont dĂ©sormais les sionistes, et non plus les Juifs, qui sont dĂ©signĂ©s comme les responsables des malheurs du monde. Les « nouveaux Juifs Â» ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

     

    [1] Alain Brossat, « Ă‡a passe ou ça casse ? Un certain air de dĂ©jĂ -vu Â». Agenda interculturel, Bruxelles, fĂ©vrier 2013, n° 310. A dĂ©charge du CBAI, le droit de rĂ©ponse accordĂ© au coordinateur du prĂ©sent site: JoĂ«l Kotek, « On ne combat pas le racisme avec de l’antisĂ©mitisme Â». Agenda interculturel , http://www.cbai.be/revuearticle/1105



Cette caricature qatarie attribue aux Juifs la paternité
des caricatures danoises stigmatisant l’Islam.

 



Cette caricature de David Dees attribue aux Juifs le Grand remplacement
qui vise à instrumentaliser les musulmans pour détruire les Chrétiens.

 



  • L’antisĂ©mitisme est plastique : L’antisĂ©mitisme doit ĂŞtre ainsi compris comme un fait social polymorphe et complexe capable de rĂ©inventer constamment l’objet de son ressentiment. Ce qui distingue, en effet, l’hostilitĂ© aux Juifs de toutes les autres formes d’intolĂ©rance (xĂ©nophobie, racisme, ethnocentrisme), c’est Ă  la fois la durĂ©e, l’intensitĂ©, la persistance et, plus encore, la plasticitĂ© du prĂ©texte accusatoire. Du 4e siècle Ă  nos jours, les motifs de persĂ©cution ont Ă©tĂ© variĂ©s. C’est aussi bien au nom de la foi (Mohamed/Luther) que de la raison (d’Holbach), de la lutte des classes (Staline), de la lutte des « races » (Hitler), du progrès social (Proudhon), des valeurs nationales (Soral) ou du « Bien Â» (R. Waters), que s’est autorisĂ©e l’hostilitĂ© envers les Juifs. Aujourd’hui, l’accusation la plus rĂ©pandue se teinte d’un humanisme bien-pensant. Et voilĂ  les Juifs, victimes multisĂ©culaires du monde chrĂ©tien et musulman, traitĂ©s de sales « blancs Â», d’impĂ©rialistes et de racistes, de colons et de spoliateurs, quand ce n’est pas, tout crument, de nazis. L'antisĂ©mitisme est typique de ce que Michel Foucault qualifiait de polyvalence tactique du discours, soit l'art de cibler indĂ©finiment la mĂŞme victime tout en recyclant ses arguments selon les thĂ©ories du jour. L’antisionisme radical, qui fait d’IsraĂ«l le Juif des nations, en est l’évidente illustration. C’est en cela-mĂŞme que l’antisĂ©mitisme est un phĂ©nomène unique dans l’histoire et qu’il est nĂ©cessaire de le traquer et de l’analyser en fonction de ses « migrations Â» discursives - comme le notait l’intellectuel français Jean-Pierre Faye. Au Moyen-âge moyen, le Juif est perçu comme l’agent du Mal, au sens propre et figurĂ© du terme ; aux Temps modernes il est dĂ©noncĂ© comme l’inventeur de l’infâme religion (chrĂ©tienne) ; Ă  la Belle-Ă©poque, un lien Ă©tant Ă©tabli entre judaĂŻsme et modernitĂ© (destructrice), les Juifs sont rendus responsables Ă  la fois de l’essor du matĂ©rialisme, du libĂ©ralisme, et du socialisme. Comme le souligne Paul Zawadki, l’imaginaire antisĂ©mite entretient une relation paradoxale, ambiguĂ« mais significative, avec la modernitĂ© bien souvent dĂ©noncĂ©e en termes de complot juif. Aujourd’hui au sein du monde arabo-musulman, le signe juif se trouve associĂ© Ă  la malbouffe (Coca Cola, McDonalds), aux sous-produits culturels (Walt Disney, PokĂ©mon), aux menaces posĂ©es sur la famille (homosexualitĂ©, etc.)


  • L’antisĂ©mitisme est plastique : L’historien Marc Knobel parle d’une « transversalitĂ© Â» de l’antisĂ©mitisme (règle des « trois A Â»), se caractĂ©risant par : 1. L’anciennetĂ©, l’inaltĂ©rabilitĂ© et l’efficacitĂ© jamais dĂ©mentie  des stĂ©rĂ©otypes vĂ©hiculĂ©s par l’antisĂ©mitisme : « Les juifs ont du pouvoir Â», « de l’argent Â», « ils contrĂ´lent la finance et les mĂ©dias Â». 2. L’actualisation constante de ces stĂ©rĂ©otypes selon les besoins de l’heure et leur adaptation rĂ©gulière aux conditions dictĂ©es par l’actualitĂ© : la crise financière de 2008 (« c’est la finance juive Â»), la pandĂ©mie de Covid-19 (« ils gagnent de l’argent avec le Covid Â»), le mouvement des « gilets jaunes Â» (Emmanuel Macron serait la marionnette docile des Rothschild»). 3. L’attractivitĂ© du mot juif sur les rĂ©seaux sociaux, lequel, plus ou moins bien utilisĂ©, gĂ©nère automatiquement de l’audience et du trafic sur la toile.


  • L’antisĂ©mitisme est contradictoire : Dans l’imaginaire de ses contempteurs, les Juifs sont tantĂ´t l’objet de mĂ©pris (« les Juifs sont des gueux Â» , « Les Juifs sont des parias Â», « Les Juifs sont laids Â»), tantĂ´t enviĂ©s et jalousĂ©s (les Juifs sont riches Â», « Les Juifs sont intellectuellement brillants Â»). TantĂ´t tournĂ©s en dĂ©rision et moquĂ©s, tantĂ´t craints, dĂ©crits tour Ă  tour comme « riches Â» et « pauvres Â», « cosmopolites Â» et « nationalistes Â», « infĂ©rieurs Â» et « supĂ©rieurs Â», « capitalistes Â» et « communistes Â», « trop visibles Â» ou « couleur de muraille Â», le « Juif Â» est tout et son contraire. 


  • L’antisĂ©mitisme est un outil paranoĂŻaque :

    L’antisĂ©mitisme radical relève de la psychose. Yehouda Leib (LĂ©on) Pinsker, l’un des inventeurs du sionisme avec Herzl , l’associe non sans pertinence Ă  une psychose collective, Ă  une forme spĂ©cifique de paranoĂŻa sociale, d’oĂą la prĂ©fĂ©rence du penseur pour le concept de « judĂ©ophobie Â». La thèse anthropologique de Pinsker est sĂ©duisante. Sans doute influencĂ© par sa qualitĂ© de mĂ©decin, il dĂ©finit la judĂ©ophobie comme une psychopathologie, comme « une dĂ©monopathie hĂ©rĂ©ditaire, propre au genre humain… qui existe partout et de tout temps.

     

    [1] Voire l’analyse de Georges Bensoussan in Histoire du sionisme




  • L’antisĂ©mitisme est une dĂ©monologie : L’antisĂ©mitisme ressortit Ă  la pensĂ©e dĂ©monologique. Comme l’avance Freud, « l’existence du diable reste le meilleur, sinon le seul subterfuge Ă  mĂŞme de disculper Dieu[1]». L’existence du Diable ne sauve-t-il pas le Christ d’un procès en incompĂ©tence ? Reste que si l’explication de l’échec des desseins de Dieu par l’existence du Mal est nĂ©cessaire, elle n’est pas suffisante. Le peuple en souffrance exige des coupables Ă  mĂŞme d’être dĂ©noncĂ©s, jugĂ©s et brĂ»lĂ©s. Et quoi de plus logique, dans le cadre de cette opĂ©ration, que de dĂ©signer les assassins du Christ ? C’est dès le 4e siècle que les Juifs se trouvent ainsi en butte Ă  des procès en sorcellerie. « L’idĂ©e que le judaĂŻsme est une organisation conspirative, placĂ©e au service du mal, cherchant Ă  dĂ©jouer le plan divin, complotant sans trĂŞve la ruine du genre humain est, Ă©crit l’historien britannique Norman Cohn, la forme première de l’antisĂ©mitisme[2]».
     

    [1] Freud Sigmund, Malaise dans la civilisation, Paris, P.U.F., [1929] 1986, p.75.

    [2] TAGUIEFF, Pierre-AndrĂ©. La pensĂ©e conspirationniste : Origines et nouveaux champs In : Les rhĂ©toriques de la conspiration, op. cit.




  • L’antisĂ©mitisme est un rĂ©cit conspiratoire : AntisĂ©mitisme et complotisme sont intimement liĂ©s. ThĂ©orisĂ© par LĂ©on Poliakov, le concept de causalitĂ© diabolique rend parfaitement compte de ce sinistre compagnonnage. Expliquer l’inexplicable par une conjuration occulte, une conspiration invisible est une constante dans l’histoire des sociĂ©tĂ©s, Ă©crit l’historien franco-russe ; ce rĂ©flexe se signale Ă  chaque moment de crise. “C’est la faute aux Juifs” devient logiquement l’explication de tout bouleversement, de toute modification du statu quo, de toutes menaces rĂ©elles ou supposĂ©es : incursion sarrasine, crue de la Seine, krach boursier et aujourd’hui COVID 19, voire… macronisme - comme en tĂ©moigne la fresque de LeKto (lire « le catho Â») qui, Ă  la veille du festival d’Avignon 2022, dĂ©peint le prĂ©sident de la RĂ©publique française comme une marionnette des Juifs. Ce type de reprĂ©sentation, il faut le savoir, appartient au lointain moyen-âge.  Dans le contexte apocalyptique de la Grande Peur, Ă©crit Jean Delumeau, nommer des coupables, fussent-ils imaginaires, a pu fournir aux victimes des Ă©pidĂ©mies un semblant d’explication logique. « Vos malheurs, mes frères, sont dus aux Juifs, ces infidèles, ces amis de Satan… Â» Les explications les plus simples sont souvent les plus efficaces. D’oĂą la fortune des thèses conspirationnistes au cĹ“ur de la vision du monde des antisĂ©mites.


  • L’antisĂ©mitisme est absurde : Contrairement Ă  l’antijudaĂŻsme, l’antisĂ©mitisme n’est pas une hostilitĂ© de type « rĂ©aliste Â». Les antijuifs reprochent aux Juifs ce qu’ils font (shabbat) et ce qu’ils sont : Ă  savoir des concurrents au plan religieux. Les antisĂ©mites, quant Ă  eux, accusent les Juifs de pensĂ©es et de crimes imaginaires. Ils leur reprochent ce qu’ils ne sont pas (des ennemis de l’humanitĂ©, des agents de Satan) ou ne font pas (sacrifier des enfants, frayer avec le diable). Ce qui distingue, l’antisĂ©mitisme des autres racismes, c’est le caractère intĂ©gralement idĂ©ologique, principiel et gratuit de la haine qu’il distille.



  • L’antisĂ©mitisme est une chimère : Gavin Langmuir, l’antisĂ©mitisme gĂ©nère par dĂ©finition des accusations de nature paranoĂŻaque et fantasmatique. A cet Ă©gard, ce type particulier de racisme peut se dĂ©finir comme « une hostilitĂ© chimĂ©rique socialement significative Ă  l'Ă©gard des Juifs Â» : chimĂ©rique au sens oĂą l’antisĂ©mitisme est toujours dĂ©connectĂ© du rĂ©el. Les crimes imputĂ©s au Juifs ne reposent en effet sur rien. Les Juifs ne tuent pas des enfants chrĂ©tiens dans le cadre de crimes rituels, n’empoisonnent pas les puits pour nuire Ă  leurs voisins, ne complotent pas contre l’Etat, ne constituent pas un Etat dans l’Etat. A l’évidence, les Juifs n’ont jamais constituĂ© la moindre menace existentielle ou territoriale ni en chrĂ©tientĂ© ni en islam.

    Leur prĂ©sence n’est pas du reste une condition nĂ©cessaire Ă  l’orchestration de campagnes antisĂ©mites. TĂ©moigne de ce fait les attaques antisĂ©mites dans des pays aujourd’hui vidĂ©s de toute population juive tels l’AlgĂ©rie, la Tunisie ou encore la Pologne ; ou depuis toujours privĂ©s de Juifs (Japon, IndonĂ©sie).




  • L’antisĂ©mitisme rĂ©pond Ă  un mĂ©canisme de transfert : L’antisĂ©mitisme est l’exemple-type du mĂ©canisme psychologique nommĂ© transfert d’hostilitĂ©. Il est une colère qui se trompe, consciemment ou inconsciemment, de cible. Il est un moyen commode pour le peuple d’exprimer la rage lĂ©gitime qu’il Ă©prouve Ă  l’égard du Prince en dĂ©tournant cette rage contre une population innocente accusĂ©e d’induire le Prince en erreur. L’antisĂ©mitisme, en mĂŞme temps, permet au Prince de dĂ©tourner le mĂ©contentement populaire sur la personne des Juifs. Si le Juif n’existait pas, Ă©crit Sartre, il faudrait l’inventer.  En tant que marqueur de mĂ©contentement, le Juif est systĂ©matiquement associĂ© aux changements et bouleversements sociĂ©taux : modernitĂ©, communisme, capitalisme, pacifisme, tout sert de pâture Ă  l’antisĂ©mitisme…  Dans son tout dernier Ă©crit, Adolf Hitler parle en effet “de race juive par commoditĂ© de langage car, avance-t-il, il n'y a pas, Ă  proprement parler du point de vue gĂ©nĂ©tique, une race juive ... La race juive est avant tout une race mentale”. Il n’en assassinera pas moins de 6 Ă  7 millions de Juifs rĂ©els.


Du moyen-âge Ă  aujourd’hui, l’antisĂ©mitisme doit ĂŞtre compris comme une colère qui se trompe de cible, comme une forme facile et absurde de lutte de classe, bref de socialisme des imbĂ©ciles ou des nazis. Nazi, c’est-Ă -dire national … socialiste.  Il en est de mĂŞme aujourd’hui de l’antisionisme, radical s’entend oĂą droit-de-l’hommisme des imbĂ©ciles. 



  • L’antisĂ©mitisme d’autojustification :  Il convient de souligner ici que l’idĂ©e d’éliminer les Juifs spatialement (Ă©puration ethnique) ou physiquement (gĂ©nocide) peut-ĂŞtre le produit d’un sentiment de culpabilitĂ© mal digĂ©rĂ©. Nul n’ignore que la population juive, historiquement sans dĂ©fense ni dĂ©fenseur, a subi plus qu’à son tour les effets de l’injustice populaire et Ă©tatique. Attaquer le plus faible des maillons de la chaĂ®ne n’étant pas une attitude jugĂ©e digne, une campagne de propagande prĂ©cède toujours les razzias et les pogroms. On justifie ainsi Ă  titre prĂ©ventif les injustifiables violences que l’on s’apprĂŞte soi-mĂŞme de commettre. A bon compte, on se dĂ©douane. « Nous les avons attaquĂ©s, certes, mais c’est eux qui ont commencé… Nous y sommes peut-ĂŞtre allĂ©s un peu fort, oui, mais grâce nous soit rendue d’avoir agi Ă  temps ! Â» On explique volontiers les persĂ©cutions des Juifs en termes de lĂ©gitime dĂ©fense, sur le modèle Ă©culĂ© du « Eux ou Nous Â», et/ou d’autodĂ©fense coupable : « Et s’ils cherchaient Ă  se venger de leurs humiliations sans cesse rĂ©pĂ©tĂ©es ? Â» Ces peurs irraisonnĂ©es expliquent que de nombreux conspirationnistes accusent les Juifs d’être aux commandes du Grand remplacement et de l’épidĂ©mie de COVID 19.



Le plan machiavélique des Juifs vise à remplacer les populations chrétiennes
par des immigrés arabo-musulmans et/ou latino.

 


  • L’antisĂ©mitisme comme moyen de jouir : Comment ne pas Ă©voquer ici le mĂ©canisme psychologique bien connu de rejet de culpabilitĂ© et/ou de projection agressive mis en avant par le philosophe allemand Theodor Adorno ; mĂ©canisme qui trouvera sa pleine expression après la Shoah par le formule du psychanalyste israĂ©lo-viennois Zvi Rix, « les Allemands ne pardonneront jamais Auschwitz aux Juifs Â». Cet antisĂ©mitisme dit secondaire, non pas "malgrĂ©, mais Ă  cause d'Auschwitz", est très Ă©clairant pour qui veut comprendre les racines de l’antisĂ©mitisme contemporain et ce, y compris (et surtout) dans ses mĂ©tastases antisionistes. Le concept de distorsion de la Shoah, rĂ©cemment mis en avant par l’organisation intergouvernementale Alliance Internationale pour la MĂ©moire de la Shoah (IHRA) dĂ©crit les mĂ©canismes destinĂ©s non pas tant Ă  nier le crime qu’à le relativiser, le banaliser, qu’à excuser les bourreaux et, davantage encore, Ă  charger, salir, culpabiliser les victimes. L’idĂ©e consiste autant Ă  minimiser le caractère criminel de la Shoah qu'Ă  nazifier les Juifs par une critique radicale d'IsraĂ«l. Non seulement les Juifs n’ont pas subi de martyre si particulier, mais ils sont aujourd’hui, en Palestine, les vĂ©ritables nazis. Le rapport troublĂ© Ă  la Shoah autorise, en effet, toutes les audaces jouissives (« Et si les vrais nazis, c’étaient les IsraĂ©liens ! »). C’est dans ce contexte aussi qu’il faut comprendre les diverses interventions de l’ÉvĂŞque d’Anvers, lequel , dans un article Ă©voquĂ© plus haut, a osĂ© Ă©crire  ceci: « Certes, je dis cela en tant que chrĂ©tien. Et en tant que chrĂ©tien, je dois Ă©galement traiter notre passĂ© avec prudence. Mais en parlant ainsi, je suis obligĂ© par la diffĂ©rence essentielle – et donc par le message mĂŞme – pour lequel JĂ©sus de Nazareth est mort sur la croix.  DĂ©jĂ  Ă  cette Ă©poque : un juif de Palestine, âgĂ© de 33 ans. Â». Retour du refoulĂ© assurĂ©ment : on se souviendra du silence de l’Église belge et de la complicitĂ© des autoritĂ©s communales de Malines, la ville oĂą rĂ©side le chef de l’Eglise catholique belge, Ă  l’époque le cardinal Van Roey. 65% des Juifs anversois furent dĂ©portĂ©s depuis Malines vers Auschwitz, 65% des Juifs d’Anvers. Quant Ă  JĂ©sus, on rappellera qu’il vĂ©cut en terre d’Israel (JudĂ©e, GalilĂ©e), pas en Palestine.


« L'antisionisme, écrit Vladimir Jankelevitch est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission - et même le droit, et même le devoir - d'être antisémite au nom de la démocratie ! L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. »



“O Crematório”, caricature qui nazifie la politique israélienne donc antisémite
aux termes de la définition de l’IHRA (Gargalo 19 novembre 2019).

 


  • L’antisĂ©mitisme comme objet passionnel, obsessionnel : Comme l’avance l’historien quĂ©bĂ©cois Pierre Anctil « Un antisĂ©mite doit ĂŞtre dĂ©fini comme celui qui fait de son hostilitĂ© Ă  l’endroit du Juif la principale et souvent l’unique rationalitĂ© de sa pensĂ©e politique et sociale. Â». Prenez les exemples contemporains d’Alain Soral, d’Alain Brossat ou encore de Jean-Marie Dermagne. L’ossature de leur weltanshauung est d’un simplisme consternant : si le monde se porte mal et menace de partir en fumĂ©e, c’est la faute aux « sionistes Â». Comme l’écrivait  Jean-Paul Sartre, l’antisĂ©mitisme tient de la passion.



  • La fonction rĂ©demptrice de l’antisĂ©mitisme : L’une des fonctions de l’antisĂ©mitisme est de rassurer des populations soumises Ă  l’arbitraire politique et terrassĂ©es par les injustices du prĂ©sent et les peurs de l’avenir. L’explication des tragĂ©dies et des dĂ©sastres par les Juifs fournit une manière d’explication logique Ă  ces dĂ©règlements aussi rĂ©guliers qu’angoissants. Elle apporte en outre la promesse de temps meilleurs, son projet Ă©tant, Ă  terme, de se dĂ©barrasser des responsables de cette succession ininterrompue de malheurs : les Juifs. Cet antisĂ©mitisme rĂ©dempteur repose sur deux dogmes : (1) les Juifs sont responsables de tous les maux qui frappent le genre humain ; (2) l’élimination totale des Juifs reprĂ©sente la voie du salut. En cela, la Shoah doit ĂŞtre comprise comme un gĂ©nocide Ă  vocation rĂ©demptrice.




  • L’antisĂ©mitisme une « idĂ©ologie Â» Ă  vocation exterminationniste : Sans cautionner l’idĂ©e que la Shoah serait l’aboutissement inĂ©luctable de la difficile relation judĂ©o-chrĂ©tienne, il est Ă©vident que c’est bien l’Eglise qui a semĂ© les graines de la haine virale Ă  l’égard des Juifs. La lĂ©gende noire tissĂ©e par les ChrĂ©tiens au fil des siècles explique le destin si particulier des Juifs en diaspora : mise Ă  l’écart progressive, statut de paria, massacres rĂ©guliers, etc… Dans Mein Kampf, Hitler Ă©crit que « ce n’est que lorsqu’une Ă©poque n’est plus envoĂ»tĂ©e par les ombres de sa propre conscience de culpabilitĂ© qu’elle obtient, avec la paix intĂ©rieure, la force de couper brutalement et impitoyablement les pousses sauvages, d’arracher les mauvaises herbes Â». Les Ă©lĂ©ments nuisibles doivent ĂŞtre traitĂ©s, comme dans la Nature, sans Ă©tats d’âme. Les pans de l’humanitĂ©, montrant des signes de dĂ©gĂ©nĂ©rescence, doivent ĂŞtre annihilĂ©s. Hors ce processus d’éradication, point de salut. C’est la contamination assurĂ©e, la gangrène garantie… En tant que tel, le Juif doit ĂŞtre isolĂ© et mis hors d’état de nuire. TĂ©moigne de cette vision d’horreur le livret d’instructions destinĂ© Ă  la Wehrmacht -paru en 1944. L’état-major national-socialiste de la Wehrmacht, sous l’égide duquel paraĂ®t l’ouvrage, n’y va pas par quatre chemins. Le titre est clair : « Les Juifs comme parasites Â», les recommandations faites aux soldats ne le sont pas moins. «On trouve encore parmi notre peuple des gens qui ne sont pas intimement convaincus quand nous parlons de l’extermination (Ausrottung) des Juifs dans notre espace vital. Il nous a fallu trouver parmi nous la force de caractère et l'Ă©nergie du plus grand homme apparu dans notre peuple depuis mille ans afin d'arracher l’imposture juive qui nous aveuglait. La Ploutocratie juive et le communisme juif pourchassent le peuple allemand qui a fui leur esclavage. Les Juifs espèrent nous contraindre Ă  une vie d’esclaves afin de prospĂ©rer sur notre dos en parasites et de nous exploiter. La forme de vie saine de notre peuple se rĂ©volte contre la forme de vie parasitique du Juif. Qui, dans ce combat, peut encore invoquer la pitiĂ©, l’amour du voisin, et ainsi de suite ? Qui croit encore dans la possibilitĂ© d’amĂ©liorer un parasite (un pou, par exemple) ou de le convertir? Qui pense qu’il existe un moyen de trouver un compromis avec un parasite? Nous n’avons qu’un seul choix : nous laisser dĂ©vorer par le parasite ou l’anĂ©antir (vernichten). Le Juif doit ĂŞtre anĂ©anti (vernichtet) partout oĂą nous le trouvons. Ce faisant, nous ne commettons pas un crime contre la vie, mais nous servons sa loi de la lutte pour la vie; une loi qui se dresse toujours contre tout ce qui est hostile Ă  une vie saine. Ainsi notre combat sert la prĂ©servation de la vie. La victoire allemande – la victoire de l’ordre dans la crĂ©ation.»


Ce type de dĂ©lire gĂ©nocidaire est malheureusement toujours Ă  l’ordre du jour. La charte originelle du Hamas en tĂ©moigne. Ses accents complotistes rappellent tout Ă  la fois les dĂ©rives antisĂ©mites de l’islamisme et le discours des mouvements fascistes de l’Entre-deux-Guerres. Extraits : « L’Heure ne viendra pas avant que (…) les pierres et les arbres eussent dit : « Musulman, serviteur de Dieu ! un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le. Â» (Article 7) ;  Â« Après la Palestine, les sionistes veulent accaparer la terre, du Nil Ă  l’Euphrate. […] Leur plan est contenu dans « Le Protocole des Sages de Sion Â». Ils sont derrière la RĂ©volution française, la RĂ©volution Communiste et toutes les rĂ©volutions dont nous avons entendu parler. Avec leur argent, ils ont mis sur pied des sociĂ©tĂ©s secrètes comme les francs-maçons, les clubs Rotary, les Lions et autres dans diffĂ©rentes parties du monde, afin de saboter les sociĂ©tĂ©s et servir les intĂ©rĂŞts sionistes. […], « ils ont Ă©tĂ© derrière la Première guerre mondiale quand ils ont aboli le Califat islamique, rĂ©alisant des gains financiers et contrĂ´lant les ressources. Ils ont obtenu la DĂ©claration Balfour, créé la Ligue des Nations pour diriger le monde. […] C’est Ă  leur instigation(qu’ont Ă©tĂ© créés)  l’ONU et le Conseil de sĂ©curitĂ© pour remplacer la SociĂ©tĂ© des Nations afin de gouverner le monde Ă  travers eux. Il n’existe aucune guerre dans n’importe quelle partie du monde dont ils ne soient les instigateurs Â»  (Article 22).  Cette charte est l’expression par excellence de ce qu’il est convenu de qualifier d’ antisionisme radical, dernier avatar connu de l’antisĂ©mitisme mĂ©diĂ©val hallucinatoire et conspirationniste. De nombreux soutiens Ă  la cause palestinienne en conviennent, Ă  l’instar d’Alain Gresh qui, en 2009, condamna dans le Monde diplomatique les dĂ©lires antisĂ©mites du Hamas: « Il faut dire que ces dĂ©lires, notamment sur les protocoles des Sages de Sion se retrouvent frĂ©quemment dans certains et articles publiĂ©s dans le monde arabe. InterrogĂ©s lĂ -dessus, les dirigeants du Hamas affirment qu’il ne faut tenir compte que de leur plate-forme dĂ©fendue durant la campagne de 2006, argument qui n’est pas recevable en ce qui concerne les rĂ©fĂ©rences aux Protocoles des Sages de Sion.»[1] 

 

[1] Alain Gresh, Qu’est-ce que le Hamas, Le monde diplomatique, 27 janvier 2009.