L'antisémitisme d’extrême droite


Introduction sur l’antisémitisme d’extrême droite

Par Marc Knobel[1]

L’antisémitisme en France prend son essor au début des années 1880. Il imprègne presque toute la droite française. Cependant, le krach de l'Union générale, en 1882, banque fondée par un ancien employé des Rothschild, semble être un des facteurs déclenchants de la vague d'antisémitisme.  En 1883 le journal La Croix, fondé par des pères assomptionnistes, se prévaut d’être le journal « le plus antijuif de France. Celui qui porte le Christ, signe d’horreur aux Juifs ». En 1886, Édouard Drumont publie La France juive, qui connaît un énorme succès. L’auteur reprend à son compte le vieil antijudaïsme contre le peuple déicide, l’anticapitalisme des socialistes, car pour Drumont, le Juif incarne le capitalisme. Il y ajoute les stéréotypes d’un racisme nouvellement encouragé par l’eugénisme. En 1889, la Ligue nationale antisémite de France est fondée par Édouard Drumont et le journaliste Jacques de Biez. En 1892 est lancé la Libre parole, le quotidien antisémite de Drumont qui se révélera le plus ardent antidreyfusard[2]. Au tout début de l’Affaire Dreyfus en 1894,  tout le monde croit en la culpabilité de Dreyfus, y compris quelques-uns des futurs dreyfusards comme Clemenceau et Jaurès. Finalement, l’Affaire Dreyfus révèle le fond de passion nationaliste et antisémite d’une partie de l’opinion française. Elle s’achèvera par la victoire des républicains au grand dam de Drumont. Dans les années 30, un nouveau cycle de passion antisémite est enclenché. La récession économique (à la suite de la crise économique des années 30) et le chômage montent les Français contre les étrangers et les Juifs en particulier. Les attaques antisémites se multiplient dans la presse nationaliste, Gringoire, L’Action française, Je suis partout... En 1936, la victoire du Front populaire, qui fait pour la première fois accéder un Juif à la tête du gouvernement français, Léon Blum, renforce l’antisémitisme. En réalité, comme l’avance l’historien Michel Winock, la montée de l’antisémitisme des années 30 apparaît, avec le recul, comme la genèse des lois de Vichy, décrétant un statut des Juifs dès octobre 1940, confirmé et aggravé en 1941. Le régime de la Révolution nationale, présidé par le maréchal Pétain, s’est mis à l’unisson de l’Europe continentale et hitlérienne[3].

Dans les années 80, l’extrême-droite s’illustre à travers un populisme protestataire et identitaire. Le chômage qui augmente, les effets de la globalisation/mondialisation économique, la peur de l’immigration explique cette poussée. En France, dès sa naissance, le FN se constitue comme un parti qui doit être le « réceptacle des mécontentements », selon la définition de François Duprat, un antisémite notoire et collaborateur de revues néonazies. Un objectif défini dans le programme de 1973. Il s’agit de « défendre les Français contre les visées étrangères, les menées subversives, l'égoïsme de classe, la dictature des oligarchies ». En somme, un parti qui veut s'ériger en rempart contre le système. Mais, le FN s’incarne d’abord dans et avec un chef, dont le talent est d’avoir su fédérer toutes les familles de l’extrême droite, d’anciens collabos, des nostalgiques de l’Algérie française, des catholiques intégristes, des transfuges de la Nouvelle Droite et les intellectuels du club de l’Horloge, variante libérale de la Nouvelle Droite. Peu à peu, le FN s’enracine dans une France en crise et en colère, exaspérée par les différences qu’elles soient économiques, sociales ou encore culturelles. Jean-Marie Le Pen dénonce et vitupère. Et l’héritage de l’antisémitisme ? Incontestablement, il fait partie des bagages. Jean-Marie Le Pen le fera prospérer. C’est même chez lui, une « obsession maladive[4] », à croire Jean-Maurice Demarquet, son ancien ami et collègue à l’Assemblée nationale. Une enquête de la Sofres sur les cadres du FN, révélait, en avril 1990, l’imprégnation antisémite du parti : 88% d’entre eux s’estimaient « tout à fait d’accord » ou « plutôt d’accord » avec la proposition selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir en France[5]. » C’est ainsi que Jean-Marie Le Pen ne cesse de provoquer et de distiller son venin antisémite, à coups de petites phrases, de mots chocs et propos négationnistes. L’apogée de Jean-Marie Le Pen a lieu le 21 avril 2002, lorsqu’il arrive deuxième au premier tour de l’élection présidentielle. Mais, la relève se prépare. Elle a pour nom Marine Le Pen. Dès son accession à la présidence du FN et à la différence de son père qui ne désire pas conquérir le pouvoir et se contente d’être un bruyant opposant, Marine Le Pen ambitionne d’accéder à la présidence de la République. Toute juste élue présidente du FN en janvier 2011, Marine Le Pen fait un discours qui marque les esprits. Elle dit se placer sous le signe de la République et de l'héritage de 1789. Mais, pour espérer un jour conquérir le pouvoir, elle doit lifter l’image du FN. Cela suppose de le transformer, de rassembler à droite et de se débarrasser de son encombrant père qui est exclu du parti en 2015. L’antisémitisme est une difficulté et pour dédiaboliser son parti (le RN), Marine Le Pen entreprend de couper avec l’antisémitisme, tel qu’il était instrumentalisé par Jean-Marie Le Pen. Voilà Marine Le Pen qui dénonce l’antisémitisme islamiste, qui tente de se rendre en Israël et dénonce récemment le Hamas. Parallèlement, l’extrême-droite la plus radicale fait bloc. Du militant nationaliste et négationniste Hervé Ryssen, au polémiste Alain Soral, de l’ancien président de l’œuvre française, Yvan Benedetti à Jérôme Bourbon, le directeur de publication de l’hebdomadaire Rivarol, l’obsession du juif constitue le dénominateur commun de toutes ces figures de l’extrême-droite française. Plus généralement, les zélateurs de la bête immonde surfent allègrement sur le thème du complot Juif. C’est ainsi qu’ils s’en prennent aux « forces occultes qui dominent le monde », aux « financiers apatrides », aux « Juifs cosmopolites ». Ils instrumentalisent également la cause palestinienne à des fins antisémites en surfant même sur la radicalité de certains militants propalestiniens[6]. Par exemple, Dieudonné rêve (toujours) d’amalgamer les rouges, les bruns, dans une formidable alliance, « contre le sionisme, le système, la banque[7] ». Et, Internet est le nouveau sanctuaire de leur délire antisémite[8].

 

[1] Marc Knobel est historien, il a publié de nombreux ouvrages dont, en 2012, L’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.

[2] Voir à ce sujet, Michel Winock, « Émancipation et exclusion. La France et la question juive », L’Histoire, n° 269, octobre 2002, pp. 52-57.

[3] Michel Winock, idem. p.55.

[4] Le Monde, 16 octobre 1985.

[5] Cité par Michel Winock, « Le Pen : portrait d’un chef », L’Histoire, Hors-Série, juillet-août 2010, p.74.

[6] Voir à ce sujet le dossier de L’Express, 26 février au 4 mars 2009, « Les nouveaux réseaux antisémites ».

[7] Marianne, 22 au 23 février 2023.

[8] Sur ce sujet, voir Marc Knobel, Cyberhaine. Propagande et antisémitisme sur Internet, Paris, Hermann, 2021, 231 p.

 


Affaire Dreyfus et Ligues nationalistes

Pendant l’Affaire, les ligues nationalistes qui sont profondément antisémites s’acharnent contre Alfred Dreyfus. Lorsqu’en 1894, une sordide affaire d’espionnage éclate au sein de son ministère[1], le général Mercier, ministre de la Guerre, craint assurément pour sa carrière. Il lui faut prévenir d’éventuelles critiques et trouver un coupable qui lui permettra, non seulement d’affirmer sa fermeté face à l’espionnage allemand, mais aussi de réfuter les attaques de certains journaux, comme La Croix ou La Libre Parole, qui l’accusent de couvrir les Juifs. Dès lors, la terrible machine militaire se met en marche, qui fait du capitaine Alfred Dreyfus, un officier juif de l’armée française, stagiaire à l’état-major général, son traître idéal[2]. Pourtant, Alfred Dreyfus est profondément patriote, comme le sont d’ailleurs les autres officiers juifs au sein de l’armée française. Mais, avec l’Affaire Dreyfus, les militaires conspirent et l’antisémitisme fait des ravages dans l’armée. « Si le traître eut été chrétien », ironise Sébastien Faure dans le journal anarchiste, Le Libertaire, le 6 février 1898. Mais, Alfred Dreyfus n’est pas un traître et il n’est pas chrétien. Et, celui qui a vu l’Alsace frémir, celui qui a vu la France vaincu en 1871, celui qui a choisi de servir son pays, est accusé de toutes les vilenies. Rarement plus ignominieux débordement d’injures, de calomnies et de lâches menaces ne s’abattirent sur un seul homme. Les ligues nationalistes (comme la Ligue des Patriotes, fondée en mai 1882 par Paul Déroulède ou la Ligue Antisémite de Jules Guérin) s’acharnent contre Alfred Dreyfus. Ces ligues factieuses sont profondément antisémites. Mais, elles sont aussi antiparlementaires. Elles dénoncent les protestants, les francs-maçons, tout en entretenant un vrai culte à l’armée. Car, pour les ligues, c’est la sauvegarde de l’armée qui importe et qui est en jeu, son honneur, la discipline de ses troupes et finalement son efficacité future sur un champ de bataille qui pourrait à l’avenir opposer la France à l’Allemagne. Pour les ligues, donc, la culpabilité d’Alfred Dreyfus ne fait donc aucun doute. L’antisémitisme occupe une place centrale dans l’affaire Dreyfus. Or, même s’il y eut de temps à autre, un antidreyfusisme modéré, composé de gens qui ne veulent pas s’intéresser à l’antisémitisme[3] et parfois même le combattre, l’antisémitisme occupe une place centrale dans l’affaire Dreyfus. Le polémiste Edouard Drumont ou le journaliste Henri Rochefort, par exemple, ainsi que les chantres du nationalisme, comme les écrivains Maurice Barrès et Charles Maurras, se déchaînent. Selon l’historien Michel Winock, les uns et les autres dénoncent dans la figure mythique du Juif à la fois la cause directe et le symbole de la décadence française. Obnubilés par les patronymes juifs, désormais repérables dans la haute administration, dans les commandements militaires, dans les instances politiques, après qu’ils l’eurent été dans le commerce et dans la banque, ils décrivent « l’invasion ». La France de trente-neuf millions d’habitants ne comptait pourtant que quatre-vingt mille Juifs, mais les chiffres les plus fantaisistes circulent et renforcent leur phobie, résume Winock. Ils se persuadent alors que le pays est désormais entre les mains des Juifs[4]. Face aux antidreyfusards et aux antisémites, Emile Zola réplique par un haut le cœur. Le romancier publie dans Le Figaro du 16 mai 1896, un article époustouflant, intitulé « Pour les Juifs ». Il y dénonce l’antisémitisme et plaide avec ferveur pour une République fraternelle, capable de dépasser ses divisions et ses haines : « Là est ma continuelle stupeur, qu’un tel retour de fanatisme, qu’une telle tentative de guerre religieuse, ait pu se produire à notre époque, dans notre grand Paris, au milieu de notre bon peuple. Et cela dans nos temps de démocratie, lorsqu’un immense mouvement se déclare de partout vers l’égalité, la fraternité et la justice ! »

Comment l’antidreyfusisme s’exprime sous l’Occupation ? Le 11 juillet 1935, le lieutenant-colonel Alfred Dreyfus décède à l’âge de soixante-seize ans. Si l’affaire qui porte son nom a déclenché, un quart de siècle auparavant, le premier événement médiatique de la France contemporaine, la mort d’Alfred Dreyfus, en revanche, ne suscite que peu de réactions. En février 1939, les disciples de Charles Maurras, pour la plupart nés après l’affaire et regroupés au sein de la rédaction de l’hebdomadaire antisémite Je suis partout, font paraître un numéro spécial intitulé « Les Juifs et la France ». La culpabilité de Dreyfus ne fait pas le moindre doute pour l’écrivain Lucien Rebatet, auteur d’un long article sur l’Affaire : « Dreyfus victime ? Dreyfus la honte ? Non ! Dreyfus la calamité ! Pour tous les maux qui ont fondu sur notre pays en son nom. » Car, au-delà de l’éventuelle culpabilité ou innocence de Dreyfus, l’Affaire se situe sur un autre plan, proclame Lucien Rebatet. Ce qu’il convient de combattre écrit-il, c’est « ce clan dreyfusard triomphant, redoublant d’antimilitarisme et d’anticléricalisme, épurant l’armée, ce clan qui, après avoir chassé les congrégations, a établi la séparation de l’Eglise et de l’Etat » (en 1905). A la fin des années 30, d’autres pamphlétaires, écrivains et journalistes antisémites comme Henry Coston, Léon Daudet ou Louis-Ferdinand Céline pourfendent violemment Alfred Dreyfus. Dans Bagatelles pour un massacre, par exemple, Céline écrit : « le capitaine Dreyfus est bien plus grand que le capitaine Bonaparte. Il a conquis la France et l’a gardée »[5]. Ces propos précédaient de peu l’instauration, en juillet 1940, du régime de Vichy. Les autorités, tout à leur objectif de « Révolution nationale », font expurger le contenu des manuels scolaires. Les passages concernant l’innocence du capitaine Dreyfus sont les premiers à être ainsi « oubliés ». Plus éclairant encore, à la fin de l’année 1943, Xavier Darquier de Pellepoix, le commissaire général aux questions juives[6] (de Vichy), est compromis dans une affaire de corruption. Il faut lui envisager de trouver un successeur. Au début de l’année 1944, le nom du maurrassien Charles Mercier du Paty de Clam est avancé pour succéder à Darquier de Pellepoix. Selon Xavier Vallat (ancien commissaire général aux questions juives), du Paty de Clam donne toutes les garanties « d’intégrité » car il porte un nom « historique ». Son père, Armand Mercier du Paty de Clam (1853-1916), a joué un rôle central dans les machinations de l’affaire Dreyfus. Choisi en qualité d’officier de police judiciaire et comme expert graphologique, c’est lui qui accusa d’Alfred Dreyfus. Ce fut toujours qui, trois ans plus tard, en 1897), fut chargé par l’état-major de l’Armée française de disculper le vrai coupable : le commandant Marie Charles Ferdinand Walsin Esterhazy ![7] Tandis que Vichy renoue avec l’Affaire Dreyfus, en la petite-fille du capitaine Alfred Dreyfus, Madeleine Lévy, est déportée et assassinée à Auschwitz à l’âge de vingt-deux ans. Ce même mois de mai 1944, une centaine de personnes s’étaient devant la tombe d’un de ses principaux accusateurs Edouard Drumont. Le mot de la fin de l’Affaire Dreyfus revient paradoxalement à Charles Maurras, le fondateur de l’Action française. Le 27 janvier 1945, tandis qu’il vient d’apprendre sa condamnation à la réclusion perpétuelle pour intelligence avec l’ennemi, il s’écrie à l’adresse des juges… « C’est la revanche de Dreyfus ! » Tout récemment, Zemmour, pourtant d’origine juive, a laissé planer le doute quant à l’innocence de Dreyfus. L’extrême-droite à ses démons récurrents. 

 

[1] Le 6 octobre 1894, le service de renseignement français, dirigé par le lieutenant-colonel Sandherr, attribue au capitaine Alfred Dreyfus, stagiaire à l’état-major général, la paternité d’une lettre adressée à l’attaché militaire à l’ambassade d’Allemagne à Paris, Maximilien von Schwartzkoppen, et annonçant l’envoi de documents militaires. Le 15 octobre, Dreyfus est arrêté sur l’ordre du général Mercier. Le 19 décembre 1894, s’ouvre son procès. Le 22 décembre, Alfred Dreyfus est condamné à la déportation perpétuelle et il est transféré ensuite à l’île du Diable, au large de Cayenne.

Quelques années plus tard, un procès en révision a lieu à Rennes, du 7 août au 9 septembre 1899, qui confirme sa condamnation pour haute trahison. Mais, le 19 septembre 1899, sur la demande du Président du Conseil Waldeck-Rousseau (et avec l’appui de la famille Dreyfus), le Président de la République Emile Loubet signe la grâce d’Alfred Dreyfus. A sa grâce, va succéder l’amnistie pour tous les faits se rattachant à l’affaire Dreyfus. Dans ses notes non datées, le Président du Conseil Waldeck-Rousseau, explique que « L’amnistie ne procède ni de la justice, ni de la clémence, mais seulement, et c’est le mobile souverain auquel obéissent les nations, de la raison d’État et de l’intérêt politique. » Il ajoute aussitôt, « Il faut oublier. »  Finalement, le 12 juillet 1906, la Cour de cassation annule le jugement du Conseil de guerre de Rennes (9 septembre 1899). La Cour affirme que la condamnation portée contre Alfred Dreyfus a été prononcée « par erreur et à tort. »

[2] Voir à ce sujet, Maurice Vaisse et Jean-François Boulanger, « La conspiration des militaires », L’Histoire, numéro 173, janvier 1994, pp. 12-19.

[3] Il faut lire à ce sujet les travaux récents et l’ouvrage de l’historien Philippe Oriol, L'histoire de l'Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les Belles Lettres, 2014.

[4] Michel Winock, « Dreyfusards et antidreyfusards », L’Histoire, n°173, janvier 1994, pp. 60-68.

[6] Créé en mars 1941, le Commissariat général aux Questions juives (C.G.Q.J.) est chargé de préparer et de proposer au chef de l’État les mesures législatives concernant les Juifs, d’organiser la liquidation des biens juifs, de désigner les administrateurs séquestres et de contrôler leur activité.

[7] Marc Knobel, « Charles Mercier du Paty de Clam, commissaire général aux questions juives », Le Monde Juif, janvier – mars 1985, numéro 117, pp.18-25.

 


Édouard Drumont, l’antisémite acharné

Depuis ses débuts dans la presse, Édouard Drumont manifeste des sentiments d’antipathie à l’égard des Juifs et bascule peu à peu dans un antisémitisme ordurier. Drumont est un catholique pratiquant et un antisémite acharné. Né en 1844, cet élève relativement médiocre et qui s’estime incompris de ses professeurs, subit bien des déconvenues. Il est profondément attaché à son père. Mais, il assiste à la dégradation progressive de sa santé mentale, lorsqu’il est admis dans un établissement psychiatrique. Édouard Drumont assiste aussi au déclassement social de sa famille. Il connaît une période d’ « atroce misère » et côtoie de « déplorables milieux »[1]. En proie à la solitude, Drumont signe ses premiers articles dans de petites publications. Dès 1864, il fait ses premiers pas dans le journalisme. Mais, en 1870, dans un Paris assiégé, Drumont, demeuré à Paris, est saisi d’angoisse, intensifiée par la défaite de la France et la hantise de l’ennemi intérieur. Dès la fin de la guerre, il veut se faire un nom dans le journalisme, il multiplie les collaborations[2]. Il s’essaie au théâtre, au roman, écrit d’innombrables feuillets. Mais, il estime que son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur.

Le best-seller de l’époque, La France Juive

Dans un texte daté de 1882, Drumont affirme que l’idée de son futur best-seller La France Juive lui est directement inspirée par les travaux de recherche qu’il effectue pour écrire son livre, Mon vieux Paris (1878). C’est ainsi que la lumière se fait dans son esprit. « Je fus frappé par la terrible puissance qu’avait cette race qui, en quelques années, avait mis sous pieds la race des anciens Français[3] ». Depuis ses débuts dans la presse, Édouard Drumont manifeste des sentiments d’antipathie à l’égard des Juifs et bascule peu à peu dans un antisémitisme ordurier. La publication de La France Juive, sous-titré « essai d’histoire contemporaine » en 1886, qui compte 1200 pages, est un triomphe foudroyant en France. Probablement parce que beaucoup de Français attendent ce type d’explication (l’antisémitisme) aux problèmes sociaux de l’époque. Avec 62.000 exemplaires vendus la première année, le succès ne se dément pas jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, avec des dizaines de rééditions à des milliers d’exemplaires. En 1892, Drumont fonde un journal, La Libre Parole[4]. Là, il va exceller et disséminer jour après jour sa haine antisémite. Précisément, son journal jouera un rôle majeur dans la condamnation d’Alfred Dreyfus. Le 1er novembre 1894, La Libre Parole publie un long article et annonce la culpabilité d’Alfred Dreyfus. Peu à peu, l’Affaire se révèle être une superbe occasion pour Édouard Drumont. Dans ses colonnes, Édouard Drumont exposera avec constance sa haine maladive des Juifs. L’antisémitisme est psychotique. Du 14 décembre 1898 au 15 janvier 1899, une souscription dénommée « Henry » est lancée par La Libre Parole et 25.000 souscripteurs répondent à l’appel. Il s’agit de payer les frais d’un procès que la veuve du lieutenant-colonel Henry[5] intente contre le député Joseph Reinach. Ce dernier non sans raison avait accusé Henry de protéger par haine des Juifs le véritable traitre et auteur du fameux bordereau, Charles Ferdinand Walsin Esterhazy.[6] Accompagnés de commentaires le plus souvent violemment antisémites, ces dons sont publiés par listes dans La Libre Parole. Elles dressent un panorama de la France antidreyfusarde et elles sont l’épouvantable reflet de l’antisémitisme du temps. Cette souscription, note Pierre Quillard, un dreyfusard de la première heure, est « un mémorial de honte, un répertoire d’ignominies ». « C’est même plus que cela, c’est un appel au meurtre. » Pierre Quillard, relève que « pendant plus de cent pages, les pourvoyeurs de bagne et de guillotine aboient à la mort. Ils nomment leurs futures victimes : chancres, rongeurs, vomitifs, crotales, vermines, poux, punaises, cochons, singes.» Après l’amnistie de Dreyfus et sa réincorporation dans l’armée, Édouard Drumont ne cesse pas, jusqu’à sa mort en 1917, d’exciter la haine antisémite de ses partisans et lecteurs.

Pendant l’Occupation, les collaborateurs célèbrent Drumont

Le culte voué à Drumont se poursuit pendant toute l’occupation. Par exemple, en 1941, le Capitaine Paul Sézille, directeur de l’officine antisémite de l’Institut d’Etude des Questions Juives (IEQJ)[7] entreprend de célébrer la mémoire d’Édouard Drumont. Paul Sézille organise une « journée Drumont ». Parmi les invités, la veuve de Drumont, figurent également des représentants des autorités allemandes et françaises. Et, l’IEQJ inaugure une plaque commémorative sur la maison où Drumont vécut. Par ailleurs, l’IEQJ organise une cérémonie en son honneur à l’exposition du Palais Berlitz (à Paris) intitulée « Le Juif et la France[8] » et il offre une gerbe à sa veuve qui assiste à toutes les cérémonies prévues[9]. En avril 1942, plusieurs collaborateurs célèbrent le cinquantenaire de La Libre Parole. En octobre de la même année est inaugurée la « Maison des journalistes antijuifs », dont la veuve Drumont assure la présidence. 

 

[1] Cité par Grégoire Kauffmann, Édouard Drumont, Perrin, 2008, p.28.

[2] Idem, pp. 46-50

[3] Idem, p. 61.

[4] La Libre Parole est à l’origine du scandale politico-financier du canal de Panamá (1892), où sont impliquées des personnalités comme Georges Clemenceau ou Albert Grévy (frère de l’ancien président).

[5] Contraint d'avouer être l'auteur des faux accusant Dreyfus, Henry a été incarcéré au fort du Mont Valérien le 10 septembre 1898 et retrouvé mort le lendemain matin dans sa cellule, la gorge ouverte de deux coups de rasoir.

[6] Sur cette souscription, voir Pierre Quillard, Listes des souscripteurs classés méthodiquement et selon l'ordre alphabétique, Paris 1899, 703 pages : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k625571.pdf

Voir également Georges Bensoussan, L’idéologie du rejet. Enquête sur le Monument Henry ou archéologie d’un fantasme antisémite dans la France de la fin du XIXème siècle, Document Manya, 1993, 242 pages.

[7] Inauguré le 11 mai 1941, l’IEQJ est un organisme privé travaillant avec le soutien du Bureau de la propagande allemande à la production d'un matériel de propagande antijuive.

[8] Du 5 septembre 1941 au 5 janvier 1942, l’exposition intitulée « Le Juif et la France » se tient au palais Berlitz, situé dans le deuxième arrondissement de Paris, près de l’Opéra. L’événement antisémite est financé et organisé par l’IEQJ. L'exposition accueille environ 200 000 visiteurs.

[9] Marc Knobel, « Il y a toujours des antidreyfusards », L’Histoire, n°173, janvier 1994, pp. 116-120.

 


Doriot, du communisme à l’antisémitisme et au nazisme

L’ancien député et numéro deux du Parti communiste français rompt avec le communisme dès 1934 pour fonder deux années plus tard le Parti Populaire Français (PPF), en 1936. Ouvrier métallurgiste, membre des jeunesses communistes, dont il devient le secrétaire général, il entre en 1923 au Comité central du parti communiste (PCF). Il est élu député communiste de Saint-Denis en 1924 et devient maire de la ville en 1931. A la Chambre, il se conforme à la discipline de son groupe. Mais, il est exclu du parti (1934) pour avoir créé un comité de défense antifasciste avec des membres de la SFIO. Meurtri, le maire de Saint-Denis se retire alors dans son fief et entame une inexorable et incompréhensible dérive droitière[1].

Doriot fonde le PPF

Les 27 et 28 juin 1936, Jacques Doriot fonde le PPF un parti aux accents ouvriéristes qui évoluera très rapidement vers l’extrême-droite. Très vite, le PPF regroupe des militants venus de tous les horizons politiques. Le PPF est anticommuniste. Doriot combat le front populaire comme la droite classique et éprouve une fascination certaine pour les solutions de type totalitaire. Dieter Wolf dans son livre : « Doriot, du communisme à la collaboration »[2], affirme que Doriot n’était pas personnellement antisémite. Ainsi, avait-il confié la section syndicale du PPF, au Juif Alexandre Abremski[3]. Ainsi avait-il toléré que le rédacteur en chef d’Emancipation, le journal du PPF, soit Juif[4]. Mais, dès 1936, Doriot admet au sein de son parti des antisémites convaincus comme Paul Marion, Xavier Vallat, Abel Bonnard et Pierre Drieu la Rochelle. D’autre part, Jacques Doriot cherche, dès 1937, à consolider ses positions en Algérie et en Afrique du Nord. D’autant que, pendant les années 30, les mouvements extrémistes de la métropole comme le francisme ou le PPF, pour ne citer qu’eux, trouvent leurs partisans les plus fanatiques en Algérie. Dans les terres algériennes, des centaines de sections et des milliers d’hommes agiront au nom du PPF. Très vite, Doriot se saisira à pleine dent de l’antisémitisme qu’il mettra au cœur du discours partisan. En 1940, dans Je suis un homme du Maréchal, il évoque la création de son mouvement : « c’est dans un pays colonisé par les Juifs, les Maçons, les Communistes et les Ploutocrates (…) que nous formâmes notre mouvement révolutionnaire » et « contre nous se dressa la coalition de tous les intérêts menacés par la révolution[5] ». Puis, Doriot expose ce que sont les principes révolutionnaires des partis fascistes et de la nouvelle Europe, tout en justifiant la création tardive de tels mouvements en France : « Les mouvements révolutionnaires du XXe siècle sont nés dans l’Europe désorganisée par le Traité de Versailles. Leur but commun est de substituer au chaos européen une Europe unie, harmonieuse, où seraient réglés pour une longue période historique les problèmes nationaux, les problèmes raciaux, les problèmes sociaux. » Cependant, écrit-il, « les mouvements révolutionnaires devaient se heurter partout aux mêmes ennemis : aux représentants des bénéficiaires du régime ploutocratique et du régime bolchevique. Derrière l’un comme derrière l’autre se trouvait le Juif avec sa volonté de domination universelle. » C’est pourquoi, les mouvements révolutionnaires devaient prendre une forme « nationaliste, anticapitaliste et raciste[6] ».

Après l’effondrement de 1940

Doriot présente en juillet 1940 un programme en trente points. Ce programme anticipe quelque peu sur la législation de Vichy, mais ses exigences sont formulées sur un ton volontairement brutal : dissolution du parlement, mesures contre les Juifs et les francs-maçons, mise en accusation des personnes reconnues responsables de la chute de la IIIe République[7]. Et Doriot est pris d’une grande ferveur envers Pétain. Il déclare le 22 juin 1941, qu’il est « un homme du Maréchal Pétain, voyez-vous, je le considère comme mon père. » Cependant, très vite, Doriot estime que Vichy ne va pas assez loin dans la voie de l’ordre nouveau, il rompt donc avec le régime. Et, comme Doriot caresse l’idée de prendre le pouvoir, Laval, grâce à Otto Abetz, fait obstacle à ses projets. Doriot s’engage alors dans la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme et part pour le front de l’est, puis pour le front de l’ouest (1944).

Mais, quel est le projet politique de Doriot ? 

« Nous voulons faire de la France un pays totalitaire. Dans nos conditions spécifiques, cela signifie : national, socialiste, impérialiste, européen, autoritaire[8] », explique le quotidien doriotiste Le Cri du Peuple et devant les congressistes de son parti en novembre 1942, le président du PPF indique le modèle à suivre, le national-socialisme. Dans Je suis un homme du Maréchal, Doriot explique cependant qu’« il est difficile de vouloir à la fois le maintien de l’ordre judéo-maçonnique et la création d’un Etat nouveau, moderne, autoritaire, populaire, corporatif[9]  ». Ainsi, « la minorité partisane, les incurables du régime judéo-maçonnique, les saboteurs patentés du communisme doivent-ils être mis dans l’impossibilité de nuire ». Il ajoute qu’il y va « de l’existence même de la France. Le gouvernement doit s’en rendre compte[10] ». Et, Le Cri du Peuple du 4 février 1942 lance cet avertissement : « le problème juif doit être réglé d’abord et avant tout. »

Dans cette croisade antijuive, le PPF veut rassembler

En dénonçant ceux qui ont « le culte du profit et de l’or[11] », ces banquiers juifs qui « dirigent l’économie française, à la façon dont les maîtres dirigent les esclaves[12] », en exigeant « la saisie des cinq cents milliards qui constituent la fortune juive en France » et en demandant la répartition de cette fortune « entre tous les Français[13] », le PPF s’adresse aux ouvriers, en les exhortant à lutter contre « le complot juif mondial ». Il s’adresse aussi aux paysans car Doriot impute aux Juifs la spéculation. En définitive, Le PPF laisse entendre que la lutte que mène Doriot contre les Juifs est le combat de tout un chacun : ouvriers, paysans et nationaux. Cependant, il ne suffit pas de rassembler les Français autour de ce thème, il faut agir.

En 1940, les hommes du PPF saccagent les vitrines de magasins appartenant à des Juifs à Annecy, Clermont-Ferrand, Marseille, Nice, Montpellier, Paris, Toulouse, Rodez et Vichy et la police n’intervient pas. En 1941, Theodor Dannecker, l’officier SS chef du service antijuif de la Gestapo, décide de renforcer l’autorité des mouvements antisémites à sa solde. Il fonde à cet effet l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ), véritable annexe de la Gestapo et officine de dénonciation que dirige le capitaine Sézille, officier en retraite. Les effectifs de cet Institut sont grossis par l’adhésion en masse de membres du PPF de Doriot. Pascal Ory dans Les Collaborateurs indique qu’il y aurait eu 2.100 membres du PPF sur les 11.000 adhérents de l’Institut[14]. La Section propagande de l’Institut organise des manifestations et expositions concertées avec le RNP ou le PPF comme la réunion du 7 décembre 1941 sur « la saisie des biens juifs ». En règle générale, les membres du PPF constituent la « Brigade spéciale » de l’IEQJ assurant le service d’ordre lors de ces réunions. Enfin, le secrétaire général du PPF, Alain Janvier, est un des principaux collaborateurs de l’Institut du capitaine Sézille. En 1942, le président du PPF essaie d’obtenir pour les militants de son parti et pour quelques dirigeants, des postes d’inspecteurs dans la police antijuive. En 1942, Doriot essaie d’obtenir pour ses partisans des postes d’administrateurs provisoires dans les affaires juives. En 1942-1943, le PPF peut se targuer d’être un mouvement antisémite, si ce n’est le mouvement le plus antisémite de France. Le Parti de Doriot exige, par exemple, que l’accès des cafés et restaurants fréquentés par des Aryens soit interdit aux Juifs. La même année, à Paris et en province, le PPF installe des permanences d’arrondissement dans des boutiques appartenant à des Juifs. Enfin, des volontaires du parti de Doriot mènent en coopération avec la police française ou avec les Allemands de 1942 à 1944, des opérations contre les Juifs, comme la grande rafle du Vel’ d’hiv’, au cours de laquelle 13.000 Juifs sont arrêtés puis seront déportés, enfants compris. Claude Levy raconte dans La grande rafle du Vel’ d’hiv’, qu’au matin du 16 juillet 1942, 9. 000 policiers passent à l’action ainsi que « trois à quatre cents jeunes gens en chemise bleu marine portant baudriers et brassards au signe PPF qui sont venus prêter main-forte au service d’ordre[15]. » Laissons Louis-Ferdinand Céline conclure ce travail à notre place : « Mon cher Jacques Doriot, pendant que vous êtes aux Armées, il se passe de bien vilaines choses. Entre nous, en toute franchise, nous assistons en ce moment à un répugnant travail ; le sabotage systématique du racisme en France par les antisémites eux-mêmes. Ils n’arrivent pas à s’entendre. Spectacle bien français. Combien sommes-nous d’antisémites en tout et pour tout, sur notre sol ? Je ne parle pas des badauds. A peine une petite préfecture ! … et, parmi ces émoustillés, combien de chefs ? Valables, armés, présentables ? En ce moment décisif, inspiré, mystique, à quelle tâche les voyons-nous passionnément s’adonner ? A se tirer dans les pattes ! Ne parlons pas de la troupe, un seul souci : éliminer, dénigrer, exclure, reléguer au second plan le rival possible ! Moi ! moi ! moi ! envers et contre tout… La maladie du crapaud. Jalousie ! Chacun vedette ! et seul en scène ! au palmarès ! au micro ! à l’Elysée ! Et merde donc pour l’équipe ! Et crève l’antisémitisme ! Et crèvent tous les cons d’Aryens ! Tel est le mot d’ordre profond ! Voici au fond le résumé, le résultat simple et sinistre de la rage aryenne en action, le dénigrement démentiel, la passion délirante du “Soi”. La cause est perdue [16]. » Finalement, le 22 février 1945, sur une route allemande, deux avions alliés abattent celui qui aura été un « bel exemple de fascisme à la française », selon l’historien Pascal Ory.

 

[1] https://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2018/09/13/jacques-doriot-le-petit-fuhrer-francais-la-derive-fasciste-d-un-ancien-depute-communiste_5354566_1655027.html

[2] Wolf (Dieter), Doriot, du communisme à la collaboration, Paris, 1969, p. 312.

[3] Alexandre Abremski est un militant syndicaliste, membre du PCF et qui rejoint le PPF. Il est nommé membre du Comité exécutif du PPF, dès sa création. Il meurt dans un accident de la route, le 7 février 1938.

[4] Il s’agit de Bertrand de Jouvenel qui sera remplacé par Paul Marion.

[5] Doriot J., Je suis un homme du Maréchal, Paris, 1941, p. 6.

[6] Idem, p. 1.

[7] Wolf, op. cit., p. 322.

[8] Le Cri du Peuple, 6 novembre 1942.

[9] Doriot (J.), Je suis un homme du Maréchal, op. cit., p. 79.

[10] Idem, p.88.

[11] Doriot, Je suis un homme du Maréchal, op. cit., p. 55.

[12] Ibid., p.33.

[13] CDJC, 9016.

[14] Ory (P.), Les Collaborateurs. 1940-1945, Paris, 1976, p. 156.

[15] Levy (C.) et Tillard (P.), La grande rafle du Vel’ d’hiv’, Paris, 1967, pp. 37 et 38.

[16] Lettre non datée de Céline à J. Doriot dans le livre de Philippe Ganier Raymond, Une certaine France, l’antisémitisme, 40-44, Paris, 1975, pp. 166-167.

 

 


Aujourdui, FN, RN, Reconquête

Comment l’antisémitisme s’est-il développé à partir des années 72 avec le FN et qu’est-ce qui aurait changé aujourd’hui ? Pendant les quarante années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite est quasiment absente du paysage électoral français, malgré l’éphémère flambée poujadiste de 1956. Le 5 octobre 1972, la naissance du FN passe quasiment inaperçue. Mais, dès 1970, la croissance ralentit, la crise économique s’installe. Et les immigrés deviennent des boucs émissaires. Dès les élections cantonales de mars 1982 et les municipales de 1983, le FN engrange ses premiers succès électoraux. L’extrême droite semble renaître de ses cendres. A sa tête, un leader charismatique et profondément antisémite, Jean-Marie Le Pen[1].

L’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen

Invité du "Grand Jury" sur RTL, le 15 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen est interrogé sur l'existence des chambres à gaz. Il répond : « Je n'ai pas spécialement étudié la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale. » En mai 1990, il est condamné à verser 1 franc de dommages et intérêts aux dix associations qui ont porté plainte contre lui. Le jugement estime que les propos du président du FN sont « de nature à remettre en cause, à banaliser ou, pour le moins, rendre moins spécifiquement dramatiques les persécutions et les souffrances infligées aux déportés, et plus particulièrement aux Juifs et aux Tziganes par les nazis ». L'année suivante, la peine est alourdie en appel, comme le raconte Le Monde, avec près de 1,2 million de francs à verser au total[2]. Lors des universités d'été du FN, organisées en 1988 au Cap d'Agde (Hérault), Jean-Marie Le Pen remplit son discours de calembours douteux. Il se moque ainsi du ministre de la Fonction publique Michel Durafour. « Durafour et du moulin » rigole d'abord le leader frontiste, avant de l'appeler « M. Durafour crématoire ». C'est une nouvelle fois à l'occasion de l'université du FN que Jean-Marie Le Pen fait polémique, le 30 août 1996. Depuis La Grande-Motte (Hérault), il déclare qu'il croit « à l'inégalité des races » : « Elles n'ont pas toutes les mêmes capacités, ni le même niveau d'évolution historique. »  Le 5 décembre 1997, à Munich, lors d’une réunion publique de soutien à l’ancien Waffen SS Franz Schoenhuber, qui vient d’écrire un livre sur la Seconde Guerre mondiale, Jean-Marie Le Pen parle des camps de concentration hitlériens et de leurs chambres à gaz, comme d’un « détail ». Il précise que Schoenhuber n’a guère consacré que deux pages sur mille aux premiers et dix lignes pour parler des chambres à gaz. Des associations de déportés et des mouvements de lutte contre le racisme l’assignent en référé, comme étant responsable d’un trouble manifestement illicite. Le tribunal de grande instance de Nanterre sanctionne Le Pen : « En réitérant (ces) propos à Munich et alors que se déroulait en France devant la cour d’assises de la Gironde un procès pour complicité de crimes contre l’humanité intenté à Maurice Papon pour des faits de déportation d’hommes, de femmes et d’enfants Juifs quand celui-ci était secrétaire général de la préfecture pendant l’Occupation, M. Le Pen, homme politique rompu au discours public, ne peut sérieusement soutenir s’il poursuivait simplement à l’égard de ses concitoyens une démarche en quelque sorte pédagogique, tendant par la répétition de sa parole, à leur faire comprendre le sens du mot détail... » Pour le tribunal, « la réitération réfléchie » de tels propos ne fait au contraire qu’en « aggraver » la portée. Dans une interview qu’il accorde à l’hebdomadaire Rivarol (7 janvier 2005), le président du FN estime que l'occupation allemande en France « n'a pas été particulièrement inhumaine » et qu’ « il y aurait beaucoup à dire » sur le massacre d'Oradour-sur-Glane, du 10 juin 1944. A Rivarol, Le Pen explique que « si les Allemands avaient multiplié les exécutions massives dans tous les coins comme l'affirme la vulgate, il n'y aurait pas eu besoin de camps de concentration pour les déportés politiques ». Quelques jours plus tard, sur RTL, Jean-Marie Le Pen refuse de préciser sa pensée, « parce qu'on n'a pas la liberté de pensée en France, ni la liberté de parler ». Mais, le président du FN a « fait ainsi écho, sans s'y référer explicitement, à une thèse révisionniste » selon laquelle « des explosifs auraient été dissimulés par les résistants dans l'église (d'Oradour) où le 10 juin 1944 la division SS Das Reich avait enfermé 642 civils (dont 245 femmes et 207 enfants) avant de mettre le feu au bâtiment[3] ».

La stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen

Dès son accession à la présidence du FN et à la différence de son père qui ne désirait pas conquérir le pouvoir et se contente d’être un bruyant opposant, Marine Le Pen ambitionne d’accéder à la présidence de la République. Toute juste élue présidente du FN en janvier 2011, Marine Le Pen fait un discours qui marque les esprits. Elle dit se placer sous le signe de la République et de l'héritage de 1789.Mais, pour espérer un jour conquérir le pouvoir, elle doit lifter l’image du FN[5]. Cela suppose de le transformer, de rassembler à droite et de se débarrasser de son encombrant père. C’est ainsi que le 20 août 2015, Jean-Marie Le Pen est exclu du parti qu'il a pourtant contribué à fonder. Ses propos polémiques, sur les chambres à gaz ou sa défense du maréchal Pétain, pénalisent la stratégie de « dédiabolisation » du parti menée par sa fille. Elle l’écarte donc, mais elle garde autour d’elle de nombreux protagonistes du FN clairement sulfureux. Par ailleurs, ce n’est pas pour autant que Marine Le Pen condamne les propos de son père. Elle s’emploie juste à s’en décaler. Concernant l’antisémitisme, la stratégie est rappelée par Louis Aliot, vice-président du FN, dans un entretien qu’il accorde à l’historienne Valérie Igounet, en décembre 2013. Là, Louis Aliot explique comment il veut redorer l’image du parti. L’enjeu est simple. Pour « dédiaboliser » le FN, il doit couper avec l’antisémitisme, tel qu’il était instrumentalisé par Jean-Marie Le Pen. Que dit Alliot ? : « La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam… D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste[6] ». Comme le rappelle Jonathan Hayoun, réalisateur de documentaires et ancien président de l’Union des Etudiants Juifs de France, interviewé en 2019, « dans sa stratégie dite de dédiabolisation, les juifs représentent clairement une cible à neutraliser, voire à séduire. Non pas tant pour le pseudo électorat juif (0,6% du corps électoral seulement), mais bien pour la symbolique que représenterait un dialogue possible entre le Front National et les institutions juives. Marine Le Pen y verrait donc une caution qui effacerait l’histoire et l’actualité de l’antisémitisme d’extrême droite. Les institutions juives ne sont pas dupes et tiennent[7] ». Malgré tout Marine Le Pen persiste dans sa stratégie de « dédiabolisation », de respectabilité.  . Dans un entretien qu’elle accorde à l’hebdomadaire Le Point du 3 février 2011, la nouvelle Présidente du FN explique que ce qui s'est « passé » dans les camps nazis « est le summum de la barbarie ». « Je n'ai pas à faire de travail de mémoire. Tout le monde sait ce qui s'est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s'y est passé est le summum de la barbarie. Croyez-moi, cette barbarie, je l'ai bien en mémoire », explique-t-elle. Elle ajoute aussitôt qu’elle ne se sent « aucune filiation avec ce que fut l'armée allemande (...) Cette armée a assassiné nos pères et nos frères, je ne l'oublie pas. Et tous ceux qui font preuve d'ambiguïté sur le sujet m'agacent au plus haut point », ajoute la fille du sulfureux Jean-Marie Le Pen. Comme on lui demandait si c'est le cas aussi pour ceux qui font preuve « d’ambiguïté sur la Shoah », elle répondit par l’affirmative : « Oui, ils m'agacent de la même manière ». Soit. Le passé sulfureux négationniste de son père serait-il dès lors soldé ? La suite de son interview au Point permet d’en douter. Dans cet entretien au Point, Marine Le Pen tempère quelque peu ses déclarations précédentes non sans y ajouter sa petite musique anti-immigration: « L'Histoire a d'abord permis de culpabiliser les Français au-delà du raisonnable. On leur a expliqué qu'ils étaient des salauds, des colonisateurs, des esclavagistes... à ce titre, ils devaient abandonner leurs réflexes de survie et accepter, par exemple, une immigration insupportable. » De là, à parler d’occupation… Il n’y a qu’un pas. Qu’elle franchit aisément. Comment ? En décembre 2010, la candidate à la présidence du Front national suscite l'indignation après avoir comparé les prières de rue des musulmans à une forme d’« occupation », sans « blindés » ni « soldats », mais d' « occupation tout de même ». En juillet 2013, elle réitère ses propos : « Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s'il s'agit de parler d'occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c'est une occupation du territoire », ajoute Marine Le Pen. Comme quoi, là encore, le thème de « l’occupation » reste un terme porteur.  De même, le 9 avril 2017, Marine Le Pen ne manqua pas déclencher une petite tempête médiatique en déclarant en pleine campagne présidentielle que « la France n’est pas responsable du Vél’d’Hiv ». « S’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas la France » – une version de l’Histoire installée par le général de Gaulle et que partageait François Mitterrand mais depuis totalement obsolète, sinon indigne de la République, depuis les excuses adressées par le Président Chirac à la communauté juive de France[8]. Cela ne l’empêcha pas de rendre hommage, le 16 juillet 2020, aux 13.000 Juifs, arrêtés par la police et la gendarmerie françaises lors des rafles du Vel d’Hiv dans un souci de se présenter comme le meilleur rempart contre « l’antisémitisme islamique », surfant évidemment sur l’inquiétude des Juifs de France. « On refuse de pointer du doigt le véritable danger », ajoute-t-elle le 19 février 2019, sur Europe 1, accusant dans une autre interview les responsables politiques d'avoir « laissé s'installer un fondamentalisme islamiste qui est incontestablement à l'origine de l'antisémitisme aujourd'hui ». Pour la présidente du Rassemblement national, la hausse de 74% des actes antisémites enregistrés en France en 2018 n’est en rien imputable à l'extrême droite : « L'extrême droite antisémite en France, aujourd'hui, ce sont quelques groupuscules dont le nombre de membres est dérisoire », soutient-elle. « J'en suis la première victime », poursuit-elle, estimant être attaquée « tous les jours », via les réseaux sociaux et les blogs, par ces « groupuscules ». Parallèlement, elle tente de se rendre en Israël ou de rencontrer des dirigeants politiques israéliens. En vain, jusqu’à présent. A la suite des attaques abominables perpétrées par le Hamas, en territoire israélien, le 9 octobre 2023, Marine Le Pen prend la parole à l’Assemblée nationale pour dénoncer « des pogroms sur la terre même d’Israël », tandis que  Le Rassemblement national affirme son soutien « sans réserve » à Israël. Mais, cette stratégie de « dédiabolisation » qui inclue l’antisémitisme fait-elle l’unanimité chez les militants du RN ? Pas forcément. S’agissant du rapport aux Juifs, le RN n’est pas exempts de couacs et polémiques. Quelques exemples. Dans une correspondance du 5 mai 2021, rendue publique par l’AFP, Jean-Richard Sulzer, membre du Conseil national du RN[9], met en garde Marine Le Pen contre la présence sur les listes aux élections régionales et départementales de candidats au passé « sulfureux », citant plusieurs noms[10]. Jonathan Hayoun raconte qu’au lendemain du premier tour de la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen décide de se mettre en retrait de la présidence de son parti et de céder sa place à un cadre historique, Jean-François Jalkh, un militant au passé négationniste.[11] Quand Marine Le Pen nomme Philippe Vardon directeur de communication pour sa campagne électorale des européennes ignore-t-elle qu’il a été le cofondateur du Bloc Identitaire, un violent groupuscule d’ultradroite ? Que dire également des préjugés antisémites ? Ont-ils réellement disparu ou sont-ils encore fréquents chez les sympathisants du RN ? L’étude Radiographie de l’antisémitisme en France, édition 2022 entreprise par l’American Jewish Committee (AJC) et la Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop, donne plusieurs indications[12]. Par exemple, la diffusion des préjugés antisémites est plus répandue à l’extrême gauche et à l’extrême droite. Ainsi, l’affirmation selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est partagée par 39% de l’électorat de Marine Le Pen et par 33% des proches du Rassemblement national[13], contre 26% dans l’ensemble de la population. De plus, 22% des militants du RN estime que l’on parle trop de l’antisémitisme contre un pourcentage égal à ceux de La France insoumise (22%) et les chez les sympathisants du mouvement antivaccins.

Un nouveau venu dans le paysage politique français, Eric Zemmour

À la fin de l'année 2021, le journaliste et polémiste Éric Zemmour annonce sa candidature à l'élection présidentielle de 2022 et fonde le parti politique Reconquête, dans une optique d'union des droites mais autour de thèmes identitaires et nationalistes. Là, Éric Zemmour prospère sur un terreau délicat, celui-ci est particulièrement mouvant, se transformant et augmentant en fonction des circonstances et des faits : faire peur. Ce dont il use et abuse et qu’il actionne tant, méthodiquement. C’est la peur qu’il instrumentalise, c’est la peur qui est le fondement même de sa politique. Mais, Éric Zemmour qui est Juif, dit vouloir aussi défendre les Juifs de France et les protéger de l’antisémitisme. Étrange paradoxe, quand lui-même tient des propos inqualifiables sur l’innocence d’Alfred Dreyfus[14], sur Pétain qui aurait prétendument sauvé les Juifs français[15] ou sur les enfants qui ont été assassinés à l’école Omar Hatorah de Toulouse par un terroriste islamiste[16]. Dans Le Point, le philosophe Bernard-Henri Lévy commente le positionnement d’Éric Zemmour : « J’observe sa rage à embrasser la rhétorique barrésienne et maurrassienne la plus criminelle comme s'il voulait arracher les yeux de la synagogue sur le fronton martyrisé de Notre-Dame. » Et d’ajouter, « je regarde sa façon de s'engager dans la zone marécageuse, fangeuse, du fascisme français et, tantôt d'y barboter comme un poisson dans l'eau, tantôt d'y caracoler comme un Bonaparte de carnaval au pont d'Arcole. Et il y a, dans cette transgression, quelque chose qui glace les sangs[17]. »

 

[1] Voir à ce sujet Pascal Perrineau, « Les bataillons électoraux de Jean-Marie Le Pen », L’Histoire, n° 219, mars 1998.

[2] https://www.lemonde.fr/archives/article/1991/03/20/l-affaire-du-point-de-detail-la-cour-d-appel-de-versailles-aggrave-les-peines-prononcees-contre-m-le-pen_4014038_1819218.html

 

[3] Le Monde, 10 janvier 2005.

[4] C'est une rupture avec les années 1980 et 1990, car Jean-Marie Le Pen, évoquait peu la République.

[5] En 2018, le FN est rebaptisé Rassemblement national. Cependant, lors de son congrès le 11 mars 2018, Marine Le Pen déclare : « Le nom Front national est porteur d’une histoire glorieuse que personne ne doit renier ». Or, cette histoire est celle d’un parti fondé par d’anciens collaborationnistes.

[6] Entretien de Louis Alliot, 6 décembre 2013, in Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours, Paris, Seuil, p. 420.

[8] Franck Johannès, En condamnant « le fléau de l’antisémitisme », Marine Le Pen prend ses distances avec l’histoire du FN, Le Monde, 20 juillet 2020.

[9] Il s’agit d’un mouvement embryonnaire représentant quelques rares militants de confession juive du RN.

[10] Voir par exemple : https://www.lavoixdunord.fr/1016574/article/2021-05-31/juifs-et-militants-au-rn-ils-protestent-contre-des-candidats-au-passe-sulfureux

[11] Voir à ce sujet : https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/04/27/le-nouveau-president-du-fn-jean-francois-jalkh-rattrape-par-des-declarations-negationnistes_5118476_823448.html

[12] https://www.fondapol.org/etude/radiographie-de-lantisemitisme-en-france-edition-2022/

[13]Cette affirmation est également partagée par 33% des répondants au sein de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon et par 34% des proches de La France insoumise.

[14] « Beaucoup étaient prêts à dire Dreyfus innocent, même si c’est trouble cette histoire aussi, mais on ne va pas refaire le procès de Dreyfus ici », déclare Éric Zemmour dans une émission sur Émile Zola. Quinze jours plus tard, le polémiste enfonce le clou, expliquant à propos des expertises mensongères qui ont conduit à la mise en accusation de Dreyfus qu’ « on ne saura jamais » et à propos de l’innocence de Dreyfus, que « ce n’est pas évident » et qu’en tout état de cause Dreyfus n’était pas attaqué « tellement en tant que juif » mais en tant qu’« Allemand  ». Voir Marc Knobel, « Lorsqu’Éric Zemmour jette le soupçon sur l’innocence d’Alfred Dreyfus », La Revue des Deux Mondes, 22 octobre 2021.

[15] Éric Zemmour a tenu dans des émissions audiovisuelles et dans ses ouvrages comme Le Suicide français (Albin Michel, 2014, p. 126) des propos relativisant le rôle de Pétain et du régime de Vichy dans la déportation des Juifs de France et la Shoah en France, déclarant, par exemple, le 26 septembre 2021, dans Le Grand Rendez-vous sur Europe 1 et sur Cnews, que « Vichy a protégé les Juifs français et donné les Juifs étrangers ».

[16] Voir à ce sujet, Marc Knobel, « Le polémiste Eric Zemmour et les morts de l’attentat contre l’école Ozar Hatorah de Toulouse, en 2012 », La Règle du Jeu, 24 septembre 2021.

[17] Bernard-Henri Lévy, « Ce que Zemmour fait au nom juif », Le Point, 12 octobre 2021.

 


Violence, terroriste et antisémitisme en Allemagne et en France : une tentation terroriste d’extrême droite ?

Si la Belgique n’a pas été épargnée par des menaces terroristes émanant d’individus ou des groupuscules liés aux diverses mouvances néo-nazies, celles-ci apparaissent encore marginales. Sans minimiser l’affaire Jürgen Conings, du nom de ce militaire belge qui, en 2021, menaça de mort des personnalités politiques et scientifiques belges, les menaces apparaissent moindres qu’en France ou en Allemagne. En France, un rapport parlementaire français en date de 2019 a précisément évoqué l’émergence d’une « tentation terroriste » dans certains milieux d’extrême droite. Tentation qu’il faut « prendre au sérieux » : « L’élément central qui les rassemble est l’utilisation de la violence physique ou symbolique. Toutes ces organisations agissent en menaçant régulièrement l’ordre public. Concrètement, ces menaces vont se traduire par des violences physiques sur les personnes, du harcèlement, des menaces, l’enregistrement et la diffusion d’images de violence ; les destructions, dégradations, détériorations ; l’apologie des crimes, et la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence ; l’injure et la diffamation. Certains groupes s’organisent en camps d’été au cours desquels leurs membres peuvent notamment apprendre le maniement des armes. Certains d’entre eux s’arment et se préparent à une guerre civile qu’ils croient imminente[1] ». Le rapport indique ensuite que le risque terroriste comporte deux aspects.

  • Des groupes aux effectifs très réduits (environ une dizaine de personnes) de type survivaliste. Ils considèrent qu’ils sont en guerre et disent se positionner notamment en réaction aux attentats islamistes que la France a connus ces dernières années[2].
  • Un second risque réside dans la figure de celui qu’on nomme « loup solitaire », sans qu’il le soit véritablement. La capacité d’un individu seul à passer à l’acte résulte quand même des contacts entretenus précédemment avec des groupes. C’est par exemple le cas de Maxime Brunerie qui a fréquenté les milieux d’ultra-droite (en particulier le groupuscule Unité radicale) avant de commettre sa tentative d’assassinat contre Jacques Chirac, le 14 juillet 2002.

Si le rapport des députés Muriel Ressiguier (LFI) et Adrien Morenas (LREM) parle d’une mouvance de 2000 à 3000 radicaux[3], une source du renseignement estime à « 200 à 400 » le nombre de militants d’ultradroite potentiellement dangereux. « On constate une certaine vigueur de l’ultra-droite, avec un panel extrêmement large de groupes en concurrence qui se détestent ». « Certains individus ou petits groupes ont des velléités de passage à l’acte : la police découvre des projets d’attaques[4] ». Projet d’attaques ? Le 9 mai 2019, un habitant d’Aix-en-Provence, néo-nazi, est interpellé. Il avait déclaré sur les réseaux sociaux envisager de faire « un carnage » au cours du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) à Marseille le 3 juin[5]

En Allemagne

Les néonazis allemands ont plusieurs cibles, les réfugiés, immigrés, responsables politiques, Juifs. Il faut rappeler, par exemple, que le 2 juin 2019, un préfet membre de la CDU a été assassiné devant son domicile, parce qu’il défendait la politique d’accueil des réfugiés. Imagine-t-on en France le traumatisme que causerait un tel assassinat ? Justement, un procès sous haute surveillance s’est ouvert fin septembre 2019 contre un groupuscule néonazi de Chemnitz soupçonné d’avoir voulu perpétrer des attentats en Allemagne. Huit hommes répondent devant le tribunal de Dresde, de l’accusation « de formation d’un groupe terroriste d’extrême droite », selon le parquet fédéral de Karlsruhe, en charge des affaires de terrorisme. Les membres de ce groupe projetaient de perpétrer « des attaques violentes et des attentats armés » contre des étrangers, des Juifs et des personnes de différentes obédiences politiques. Ils voulaient frapper Berlin le 3 octobre, jour férié qui célèbre la Réunification allemande, selon le parquet qui ne donne pas plus de détails. Les groupuscules néonazis ne cachent pas leur intention, notamment les sympathisants du parti néonazi NPD. Et, c’est surtout dans l’est de l’Allemagne que s’intensifient l’antisémitisme et le racisme, portés « naturellement » par les néonazis. L’antisémitisme se double d’un discours profondément anticapitaliste, hostile aux immigrés musulmans mais aussi aux Juifs. Que dire également du fait que, depuis quelques années, les discours plus ou moins ouvertement antisémites (et racistes) de partis politiques tels que l’AfD (Alternative für Deutschland) entretiennent un sentiment d’impunité ? Bref, les Juifs restent la cible privilégiée des mouvances identitaires en Allemagne ; ses sympathisants échangeant sur les applications comme WhatsApp des images, textes, symboles haineux glorifiant le IIIe Reich, comme l’a souligné une récente enquête du site d’information BuzzFeed News[6]. L’antisémitisme s’invite également dans les stades. Le 8 mars 2019, par exemple, des insultes antisémites ont été proférées sur Twitter à l’encontre d’un joueur de foot israélien, Almog Cohen, à l’occasion d’une rencontre à Berlin du championnat allemand de deuxième division. Dans le même week-end, à Chemnitz, dans l’est du pays, un hommage a été rendu dans le stade local à un hooligan néonazi décédé. Il ne se passe pas une semaine, sans que dans les stades, des hooligans ne fassent le salut nazi et profèrent des insultes racistes ou antisémites. Pis, les militants néonazis jouent à cache-cache avec la police. Ces groupuscules discrets organisent concerts et réunions sportives camouflant des appels à se battre au nom de la “race blanche” ». Finalement, le 9 octobre 2019, en pleine fête religieuse de Yom Kippour, un néo-nazi allemand donne l'assaut contre la synagogue de Halle, remplie de 52 fidèles. Faute de parvenir à entrer, il abat deux personnes. Le terrorisme a été condamné à la perpétuité, assortie d'une peine de sûreté minimale de 15 ans. C’est sur Twitch qu’il diffuse un manifeste imprégné de thèses antisémites, conspirationnistes et néonazies, puis la vidéo en direct de son attaque de la synagogue, le jour de Kippour[7]. En décembre 2022, la justice allemande a annoncé avoir déjoué plusieurs projets d'attaques visant des institutions démocratiques, imaginés par un groupuscule d’extrême droite (antisémite, et complotiste) appartenant à la mouvance des "citoyens du Reich".Pis, les militants néonazis jouent à cache-cache avec la police. Dans son édition du 18 août 2019, L’Est républicain révélait que « des centaines de néonazis allemands jouant à cache-cache avec leur police (8 605 délits en six mois attribués à l’extrême droite), se réunissent plusieurs fois par an en Lorraine. Ces groupuscules discrets organisent concerts et réunions sportives camouflant des appels à se battre au nom de la “race blanche” ». Finalement, le 9 octobre 2019, en pleine fête religieuse de Yom Kippour, un néo-nazi allemand donne l'assaut contre la synagogue de Halle, remplie de 52 fidèles. Faute de parvenir à entrer, il abat deux personnes. Il est condamné à une peine de prison à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté minimale de 15 ans. C’est sur Twitch qu’il diffuse un manifeste imprégné de thèses antisémites, conspirationnistes et néonazies, puis la vidéo en direct de son attaque de la synagogue, le jour de Kippour[8]. En décembre 2022, la justice allemande a annoncé avoir déjoué plusieurs projets d'attaques visant des institutions démocratiques, imaginés par un groupuscule d’extrême droite (antisémite, et complotiste) appartenant à la mouvance des "citoyens du Reich". La Belgique aussi est sous la menace de groupuscules d’extrême-droite liés aux diverses mouvances néo-nazies, notamment au sein de l’armée comme le rappela au grand jour l’affaire Jürgen Conings, du nom de ce militaire belge qui, en 2021, menaça de mort des personnalités politiques et scientifiques belges. C’est en Flandre, terre fertile à l’extrême-droite (le parti Vlaamse Belang caracole en tête des intentions de votes) que les mouvements identitaires paraissent le plus menaçant à l’exemple du mouvement Schild & Vrienden (S&V) qui, au-delà de sa dénonciation de l’immigration, n’a nullement renoncé à la dénonciation du pouvoir juif. En 2018, un reportage de la télévision publique flamande (VRT) soulignait les penchants néo-nazis de ce mouvement de jeunes fondé par un ancien étudiant-administrateur de l’Université de Gand, Dries Van Langenhove. Est-ce par hasard qu’à l’exemple de tous les identitaires, l’ancien député du VB s’est rangé dans le camp du Hamas face à Israel. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, l’activiste de droite radicale Dries Van Langenhove s’est livré à une analyse du conflit à Gaza tout en se musclant les biceps aux haltères : « Je pose la question sincèrement, ce n’est pas une attaque : qu’est-ce qu’Israël a réellement fait pour nous par le passé ? Pourquoi devrions-nous soutenir ce pays sans réserve et sans équivoque ? J’aimerais bien qu’on me l’explique (…) nous ferions mieux de veiller à la stabilité du Proche-Orient plutôt que d’y mener des guerres incessantes à la demande de ces sionistes. » [9]

 

[1] Muriel Ressiguier, présidente et Alain Morenas, rapporteur, Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale, le 6 juin 2019, p. 14.

[2] Idem, p. 17.

[3] Claire Hache et Anne Vidalie, « Ultras : 3000 radicaux fichés S par le renseignement », L’Express, 19 février 2019.

[4] Jean-Dominique Merchet, « La menace terroriste en France n’est pas seulement islamiste », L’opinion, 16 juin 2019.

[5]  Article de 20 minutes du 5 juin 2019, « Aix-en-Provence : Un néonazi, qui voulait faire un « carnage » au dîner du Crif à Marseille, interpellé ».

[6] https://www.buzzfeednews.com/article/karstenschmehl/whatsapp-groups-nazi-symbol-stickers-germany

 

[7] Rappelons qu’aux Etats-Unis, Robert Bowers assassine onze personnes par balles samedi 27 octobre 2018, dans une synagogue à Pittsburgh (Pennsylvanie), se nourrissait de littérature antisémite. Il avait posté de nombreux messages antisémites sur le réseau social Gab, très prisé par l’extrême droite anglophone. Depuis sa création en 2016, toutes les grandes figures de l’extrême droite américaine fréquentent Gab.

[8] Rappelons qu’aux Etats-Unis, Robert Bowers assassine onze personnes par balles samedi 27 octobre 2018, dans une synagogue à Pittsburgh (Pennsylvanie), se nourrissait de littérature antisémite. Il avait posté de nombreux messages antisémites sur le réseau social Gab, très prisé par l’extrême droite anglophone. Depuis sa création en 2016, toutes les grandes figures de l’extrême droite américaine fréquentent Gab.

[9] https://daardaar.be/rubriques/politique/guerre-en-israel-pourquoi-dries-van-langenhove-semble-choisir-soudainement-le-camp-des-palestiniens/ 10 octobre 2023

 


Des jeux vidéo aux sites antisémites qui pullulent sur la Toile

Comment l’antisémitisme se développe-t-il à l’extrême droite, sur le Net et dans les réseaux sociaux ? En 1988, de nouveaux jeux vidéo distrayaient des élèves autrichiens et allemands. On y jouait à devenir Hitler. Et pour cela, une seule règle suffisait : il fallait gazer le maximum de Juifs ou de Turcs, en gérant au mieux son camp d’extermination. Un reportage de la télévision autrichienne signale l’existence de ces jeux fabriqués clandestinement. Quelques mois plus tard, un instituteur de la ville de Graz découvre que ses élèves se livrent à un véritable trafic de disquettes. Effaré, il alerte les parents. Les ministères de l’Instruction et de la Police déclenchent par la suite de vagues enquêtes, sans résultat. L’instituteur sera agressé par des inconnus et devra quitter la ville. Un écolier sur cinq reconnaîtra avoir joué avec ce type de jeux et une enquête effectuée à Linz montrera que 39% des élèves connaissaient, échangeaient et utilisaient les disquettes. Un peu plus de 1 sur 5 (22%) les avaient d’ores et déjà essayées. Quoi de plus facile à l’époque que de copier une disquette ? Le goût de l’interdit, accompagné d’un terrain idéologiquement propice, faisait le reste.

En Allemagne, la directrice du Bureau de contrôle des écrits interdits à la jeunesse recense plus de 120 versions différentes de ces programmes, réparties sur l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et les États-Unis. Les jeux étaient vendus sous le manteau ou distribués gratuitement, parfois avec un emballage trompeur. Ils étaient copiés à des centaines d’exemplaires, en dehors de tout circuit commercial. Le Bureau interdira par la suite 106 de ces jeux, dont « Clean Germany », qui consistait à tuer le maximum d’homosexuels, de communistes et d’étrangers sur fond d’hymne national allemand. « Test aryen » sera également interdit. Il proposait d’éliminer le joueur si son nom se terminait par « ski », « stein » ou « berg » ou un nom à consonance juive, et si ses caractéristiques physiques n’étaient pas jugées « conformes ». Un autre jeu sera également l’objet d’une interdiction « KZ – Manager » : une série de questions préliminaires distinguait les futurs dirigeants du camp et les « autres ». Il s’agissait de gazer autant de Turcs ou de Juifs que possible et d’amasser des réserves d’argent liquide tout en restant dans les limites d’un budget de 100 Turcs, 100 unités de gaz et une somme d’argent. Soudain, apparaissait à l’écran cette image, des cadavres verdâtres repliés sur le sol et une sentence d’encouragement en lettres rouges : « Le gaz a fait son effet et vous avez soulagé l’Allemagne de quelques parasites. » Le quotidien italien La Repubblica indique que 10% des jeunes allemands qui possédaient un ordinateur avaient en leur possession au moins un jeu vidéo glorifiant le nazisme. La Repubblica révèle par ailleurs que parmi les 20.000 jeux vidéo disponibles en juin 1989 sur le marché allemand, 6.000 au moins avaient un contenu nazi ou raciste[1].  quoique ce type de jeu circule toujours, les extrémistes font aujourd’hui l’économie de disquettes, parce qu’elles n’existent plus. Les militants d’extrême-droite comprennent le parti qu’ils peuvent tirer d’une utilisation rationnelle et systématique d’Internet. Les quelques déclarations suivantes le démontrent. L’extrémiste Milton J. Klimt dans son « On tactics and strategy for Usenet » expliquait, par exemple, la stratégie utilisée : « Internet offre de gigantesques possibilités pour permettre à la résistance aryenne de diffuser notre message aux inconscients et aux ignorants. C’est le seul média de masse dont nous disposons et qui est relativement épargné par la censure. C’est maintenant que nous devons nous emparer de cette arme qu’est Internet afin de la manier avec habileté et sagesse[2] ». Dans une publication intitulée « La conspiration théorique », l’activiste autrichien Walter Ochtenberger se réjouissait que « la liberté de pensée soit totale sur Internet [...]. Dans le fond, Internet est le média démocratique le moins mauvais. » Olivier Bode, un autre activiste néonazi, écrivait que l’on ne peut faire « que des louanges sur les applications d’Internet ». Dans un autre commentaire publié sur le site américain de Stormfront, émanant cette fois d’un groupuscule néonazi allemand, on peut lire : « Nous devons créer des zones libérées. Dans ces zones dont Internet, nous exercerons notre pouvoir, gagnerons des militants, accentuerons notre militantisme et punirons tous les déviants et nos ennemis. » Sur un autre site, il était proclamé : « Ce qu’il y a de pratique avec Internet, c’est qu’il nous permet d’échapper à la censure officielle. Chacun d’entre nous, avec des capacités pourtant réduites, peut atteindre l’opinion publique. Ce qui permet ainsi de diffuser nos informations et notre propagande, mais encore de retirer tous pouvoirs à ceux qui sont les gardiens de la bonne parole et censeurs officiels. Et, ceci d’autant plus que sur Internet, chacun peut contrôler les autres... ». Une nouvelle ère commençait. Le Net allait tout transformer en profondeur, la diffusion de la propagande allait devenir un jeu d’enfant. Les sites Internet d’extrême droite pullulent sur la Toile et s’illustrent par un antisémitisme outrancier. Aujourd’hui, en quelques clics ou en effectuant une recherche à base de mots-clés, nous tombons assez facilement sur des blogs ou des sites affichant des contenus xénophobes. Les textes publiés répondent à une logique implacable. Ils s’adressent à des militants ou des gens désillusionnés par la politique et le système, c’est évident. Il s’agit alors d’animer leur militantisme, de l’affirmer ou de l’encourager. Il s’agit aussi de briser les tabous, de les conforter dans leurs choix idéologiques. Ces sites ne sont pas de simples défouloirs. Ils poursuivent un objectif politique.  Pour la France, Le Monde du 4 juillet 2011 a mené un très intéressant travail cartographique de l’ensemble de la blogosphère politique en 2011[3]. Rappelons qu’en 2007, la proportion de blogs se rattachant à la famille de l’extrême droite dans la blogosphère politique avait été évaluée à 4,4%. En 2011, elle s’élève à 12,5 %, soit 132 sites sur un total de 1 052 comptabilisés. Internet est effectivement devenu l’un des terrains de jeu privilégiés des droites extrêmes. Celles-ci ont investi le Net pour en faire ce qu’elles appellent un « outil de réinformation[4] ». Le site, transeuropeextremes.com, a répertorié en 2011, 377 sites et blogs à tendance ultra-droite et les a classés par familles : les identitaires, la droite nationale, les traditionalistes, l’entourage du FN, les tendances réactionnaires. Bref, tous les courants de l’extrême droite y sont représentés, sans toutefois de véritable unité idéologique :

• Un courant « identitaire » qui s’oppose au métissage et qui est violemment contre l’islam. Il a pour horizon une grande Europe des patries.

• D’autres sites représentent le courant « nationaliste révolutionnaire » (NR). Ils sont à la fois nationalistes, anticapitalistes, anticommunistes, anti-américains et très violemment antisionistes et antisémites.

• Enfin, il y a des blogs et des sites catholiques et traditionalistes, qui ne sont pas très nombreux. Certains sont très influents à l’extrême droite, même s’ils ne partagent pas tous la même idéologie, comme Génération identitaire ou F. de souche[5]. Si le socle commun est d’être hostile à Vatican II, de faire profession d’homophobie, de s’opposer à l’avortement, à l’euthanasie et à la République, certains versent clairement dans un antisémitisme virulent[6].

La Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF) analyse leurs méthodes : « ils ne semblent obsédés que par un sujet : les islamistes et par extension, l’islam, les musulmans, les immigrés. L’amalgame est au cœur de leur stratégie. […] Ce qui est compliqué avec ces sites, c’est qu’ils relayent de fausses infos comme des vraies. Ils recyclent les dépêches, les rumeurs, les vidéos YouTube et même des articles de sites parodiques. En clair, ils se servent de tout ce qui peut nourrir leurs thèses et leurs objectifs politiques. Ce mélange des genres entretient la confusion et les articles sont partagés par nombre d’internautes, eux-mêmes dupés » et met en garde contre des photos systématiquement truquées ou manipulées, comme en 2015 sur la crise migratoire en Europe[7]. Pour autant, sur le Net, l’antisémitisme n’est pas en reste. Globalement, les Juifs sont accusés de vouloir islamiser la France et de favoriser l’immigration. Les musulmans et les immigrés, notamment, sont présentés comme des barbares sanguinaires. On retrouve également l’accusation moyenâgeuse de meurtre rituel, puisque les juifs sont accusés de boire le sang des enfants chrétiens. Les allégations antisémites portent également sur l'argent, l'avidité. Pour clôturer le tout, des caricatures immondes sont publiées, assorties d’insultes concernant les descriptions physiques des uns ou des autres et/ou d’insultes portant sur la sexualité de certaines personnes, notamment des insultes homophobes d’une rare violence. Les attaques sont très ciblées. Des personnes sont désignées et nommées (journalistes, députés, sénateurs, ministres, militants). Les institutions et des associations antiracistes sont violemment attaquées. Les attaques peuvent se reproduire plusieurs fois de suite, mais elles augmentent d’agressivité. Les textes sont assortis alors de nouvelles caricatures, toutes plus repoussantes les unes que les autres. 

 

[1] Marc Knobel, Les réseaux néo-nazis européens et l’internationale raciste blanche, Paris, Centre Simon Wiesenthal, 1995, p.25.

[2] Marc Knobel, L’Internet de la haine. Racistes, antisémites, néonazis, intégristes, islamistes, terroristes et homophobes à l’assaut du Web, Paris, Berg International, 2012, p.15.

[3] Abel Mestre et Caroline Monnot, « Les familles de l'extrême droite sur le Net », Le Monde, 4 juillet 2011.

[4] Marc Knobel, « L’expression de l’antisémitisme sur Internet », Trop Libre, 5 avril 2016.

[5] Sur le site de F. de souche, voir Laurent David Samama, « Les méthodes du site Fdesouche décryptées », La règle du jeu, 16 juillet 2011.

[6] Voir Dominique Albertini et David Doucet, La Fachosphère, Paris, Flammarion enquête, 2016, 320 p.

[7] « Réfugiés : la guerre de l'info de la "fachosphère" », RTBF, 10 septembre 2015.