Préface de Viviane Teitelbaum

Editorial

 



La haine des Juifs, c’est quoi ? Un site internet pourquoi ? Pour qui ?


L’antisémitisme, ce racisme si particulier, est loin d’avoir disparu, il est même en pleine progression comme le confirment tant les études internationales que les récentes statistiques d’UNIA au niveau national et bruxellois. Pourtant, la lutte contre l’antisémitisme est aujourd’hui largement l’angle mort de l’antiracisme dit politique. C’est, en effet, au nom même de l’antiracisme que s’exprime souvent la haine antijuive. C’est une spécificité de l’antisémitisme contemporain.  A l’évidence, cette occultation n’est pas tolérable.  Une agression, une insulte, une injustice à l’égard d’un Juif ne sont ni plus ni moins condamnables que celles qui frappent n’importe quelle autre personne discriminée. Celles-ci comme celles-là se doivent d’être systématiquement dénoncées : la condamnation des propos et des actes antijuifs est civiquement vitale, indispensable à la cohésion de notre société. Elle doit intervenir à chaque acte ou parole. Sans cela, notre société basculera immanquablement vers une impunité et une banalisation de ces faits.

Il est évident qu’on ne peut noyer l’antisémitisme dans le racisme car au-delà d’indéniables points communs,  l’antisémitisme ne se réduit pas au racisme. L’antisémitisme est une haine bien particulière et bien ancienne qu’il s’agit de distinguer du racisme. Distinguer ne veut pas dire opposer. Distinguer ne veut pas dire hiérarchiser. L’idée est d’apporter des outils différents pour chacune des expressions de haine qui parfois se croisent sans se confondre afin de les combattre plus efficacement. Lorsqu’un phénomène n’est pas compris, il est plus difficile de l’appréhender, donc d’y remédier. C’est largement le cas avec l’antisémite qui n’est pas appréhendé pour ce qu’il ou elle est, d’où l’impression que les actes antisémites ne sont pas condamnés aussi vite, ni de la même manière ni avec la même intensité que les actes racistes ; d’où un grand désarroi, un sentiment de solitude des premiers concernés, les Juifs de Belgique. D’une part, l'intersectionnalité des luttes n’accorde pas aux Juifs (et à eux seuls) cette parole autorisée, cette parole des concerné.e.s, alors qu’elle est revendiquée pour tous les autres groupes victimes de discriminations, mais de surcroit invisibilise l’antisémitisme lorsqu’il émane des personnes dites « racisées », elles-mêmes victimes de racisme. Ainsi, au lieu d’additionner les combats, ils sont mis en concurrence. Or, l’identité de chaque personne est faite de multiples appartenances, et évolue au cours d’une vie. D’où l’importance de l’universalisme, qui ne nie ni les différences, ni les cultures, ni l’inégalité des discriminations, mais affirme que les personnes peuvent s’en émanciper. L’approche universaliste, qui tient compte des points d’intersection, est essentielle afin de combattre les dérives communautaristes.

Alors que l’antisémitisme traditionnel sévit toujours, qu’il soit d’extrême-droite ou chrétien, le nouvel antisémitisme englobe désormais un antisémitisme (d’extrême-)gauche, musulman, et un antisionisme juif débridé. Si bien entendu il faut distinguer d'une part la critique légitime de la politique menée par l'Etat d'Israël, qui fait partie du débat démocratique, c'est plutôt la manière dont ces critiques sont portées, et la manière dont l'antisionisme se déploie dans la sphère publique qui doit être source d'inquiétude. Car on sait qu'il est très facile de basculer de la haine d'un pays à celle des hommes et des femmes que l'on veut y identifier. Ce qui ne fait aucun doute, c'est que ces flots continus d'images, d'accusations, de mots qui en appellent si souvent aux émotions plus qu'à la raison ont bel et bien un impact sur le niveau de ressentiment, de haine et de violence contre les Juifs dans nos rues.

Oui, en Europe, encore, des Juifs ont été assassinés pour la seule raison qu'ils étaient Juifs. Et ces crimes ne sont que la partie émergée d'un iceberg effrayant.

Ni Nemmouche, ni Coulibaly ne sont nés par génération spontanée. Ils se sont construits sur un échafaudage de haines, de confusions, de préjugés et de généralisations qui leur ont donné bonne conscience et ce, y compris au moment où, par exemple, Merah assassine à Toulouse d'une balle dans la tête, une petite fille de sept ans.

Enfin, « l'histoire n'excuse rien, mais elle explique presque tout », disait Simone Veil, et la mémoire de la Shoah qui n'est pas seulement une obligation de respect et de fidélité envers les morts, mais un devoir de vigilance envers les vivants, reste le premier rempart contre l'antisémitisme, mais ce n’est pas, ce n’est plus le seul, il faut agir de différentes manières.

C’est pourquoi avec le soutien d’ « Equal Brussels », Service Public Régional de Bruxelles, nous avons élaboré un site d’information dédié à la lutte contre l’antisémitisme afin de doter la Région  bruxelloise d’un outil pédagogique, de sensibilisation et de compréhension à la spécificité de l’antisémitisme et à la nécessité de réinscrire la lutte contre l’antisémitisme dans une perspective universaliste afin d’offrir une alternative universaliste au nouvel antiracisme qui remet la  dite « race » au goût du jour.

Ce site internet adapté au public bruxellois est destiné aux enseignant.e.s, élèves ou étudiant.e.s universitaires en recherche de documentation sur l’antisémitisme mais aussi sur l’histoire juive et la Shoah, mais aussi aux responsables politiques, ONG, administrations publiques et médias.

 

Il vise aussi à informer de manière claire et objective les segments de la population bruxelloise plus enclins à partager certains préjugés culturels à l’égard des Juifs. Des pages sont ainsi consacrées aux « antisémythes » chrétiens et aux pages d’ombres mais aussi de lumières entre christianisme, islam et judaïsme.

Des comparaisons sont établies avec d’autres minorités persécutées, et certaines discriminations qui s’inscrivent dans l’intersectionnalité des constats. En effet, la haine et la peur de l’Autre sont loin d’avoir disparues et ce, dans ses multiples dimensions religieuses, ethniques, sexistes, etc. L’antiromisme, la négrophobie, le racisme antimusulman restent bien présents dans nos sociétés et sont abordées et démontées. Mais la haine des Juifs n’est pas ou peu traitée par les différentes ONG actives sur les droits humains.

L’idée ici est d’intégrer l’étude et la lutte contre l’antisémitisme dans une perspective élargie, incluant d’autres groupes sociaux utilisés comme boucs émissaires évidemment dans une perspectives non-racialiste. La lutte contre l’antisémitisme doit s’inscrire dans une lutte globale pour les droits de toutes les minorités.

 

Viviane Teitelbaum

Auteure, Secrétaire Générale de l’Institut Jonathas